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FOURIÉRISME

Les voies du bonheur

Le rêveur naïf crée un monde de fantaisie, dit-on, et les joyeux parcours des « cerisistes » ou des « dames fleuristes, cultivant les mauves et les dahlias » auprès des « jouvencelles fraisistes » dans les clairières ou les champs d'Harmonie, peuvent tout juste inspirer une théorie des loisirs. Or, pour Fourier, il s'agissait d'unir activités utiles et plaisirs, de telle sorte que la distinction travail-vacances s'efface. L'effort sur soi, analogue aux peines librement consenties du chasseur ou de l'artiste, tend à la maîtrise des dons individuels et à leur expression déliée. Cet accomplissement ne saurait se faire en marge de la société réelle ; c'est dans la production des biens utiles à tous que s'allient les travaux et les jeux. Étrange illusion au temps où la rationalisation industrielle déshumanise le travail ! Fourier a limité l'industrie en Harmonie, il s'est inscrit à contre-courant et son exigence radicale ne pouvait que germer, comme le grain sous la neige. Aujourd'hui, les moyens et les conditions de la production se sont transformés à tel point que l'on parle de créativité dans le travail. Certes le mot reste vague ; il faut, pour le préciser, montrer de quel fond sensible obscur monte la créativité, imaginer un système « où tout l'homme participe » avec les hauteurs de sa pensée et sa chair même. Or cela, seul Fourier l'a tenté ; il a cherché quelles seraient les voies du bonheur et de la liberté réels.

Si, pour Marx, le socialisme ne tend pas à la seule transformation des rapports de production et du statut de la propriété, mais à une réappropriation de l'humanité, enfin maîtresse de son destin, Fourier, superbe, écrit : « Les attractions sont proportionnelles aux destinées », c'est-à-dire que notre destin dépend de l'ampleur et de l'intensité de nos désirs. Mais, quand tout est jeu d'appels et de réponses, la vie communicative et les qualités singulières sont indissociables : il n'y a pas de salut individuel. On a reproché à Fourier de maintenir une hiérarchie, celle des caractères, en effet, dont le rayonnement est plus ou moins grand ; mais son système comporte un véritable amour de l'inférieur ou de l'autre différent ; il ménage le brassage créateur des classes, des âges, des sexes et des passions, un nouvel impact de la jeunesse, « cheville ouvrière » du Nouveau Monde, et des adultes. Excitateur d'une aptitude à vivre qui porte avec elle le plaisir ou le bonheur, il cherche à ressaisir le mouvement à la source, là où la sève est la plus riche et la plus lourde d'avenir, et il refuse les valeurs négatives de l'éthique. « La nature, dit-il, entraîne au bien comme au mal, selon les chances » et l'énergie plus ou moins agissante. Il faut savoir orienter cette puissance obscure, ouvrir des voies à toutes les formes d'expression. La révélation des poussées primitives projette des lueurs nouvelles sur les êtres et les choses : Fourier découvre des résonances harmoniques, « l'analogie universelle », qui pulvérise les cloisons étanches et relie l'art et les sciences à la vie.

Cet inventeur fort et original atteint, au-delà de l'école, quelques esprits tumultueux et sagaces, mais, si la portée d'une œuvre, et en particulier d'une théorie sociale, dépend de ceux qui la reçoivent, celle de Fourier attend encore les bons écouteurs et les voix en écho, par qui elle pourrait retentir avec tout son éclat.

— Simone DEBOUT-OLESZKIEWICZ

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Pour citer cet article

Simone DEBOUT-OLESZKIEWICZ. FOURIÉRISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONSIDÉRANT VICTOR (1808-1893)

    • Écrit par Georges LABICA
    • 597 mots

    Né à Salins (Jura), devenu polytechnicien, Considérant renonce, en 1831, à la carrière militaire pour se faire le propagateur de la doctrine de Fourier. Il collabore notamment au Nouveau Monde, à La Réforme industrielle et au Phalanstère. Il sera le fondateur de La Phalange (1836-1840) et...

  • DROITS DE L'HOMME

    • Écrit par Georges BURDEAU, Gérard COHEN-JONATHAN, Universalis, Pierre LAVIGNE, Marcel PRÉLOT
    • 24 100 mots
    • 3 médias
    ...l'origine, mais la terminologie semble mieux fixée de nos jours. Elle trouve son fondement, au milieu du xixe siècle, dans les doctrines socialistes. C'est Charles Fourier qui est le père de l'expression « droit au travail » ; il affirme que « la politique vante les droits de l'homme et ne garantit...
  • FOURIER CHARLES (1772-1837)

    • Écrit par François BURDEAU
    • 391 mots

    Né à Besançon dans un milieu aisé, Charles Fourier, après de sérieuses études, s'installe bientôt à Lyon, où la Révolution le ruine. Contraint à gagner sa vie, il exerce plusieurs métiers, dont celui de salarié du commerce. Il ne pourra qu'à partir de 1830 se consacrer entièrement...

  • PÉDAGOGIE - Les courants modernes

    • Écrit par Antoine LÉON
    • 4 234 mots
    • 1 média
    Lanotion d'éducation intégrale est d'abord développée par Fourier et ses disciples. Elle implique à la fois une pédagogie libérale et une valorisation de certaines disciplines comme les arts, l'éducation physique et le travail manuel. À ce propos, Karl Marx inclut dans tout...

Voir aussi