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FÉMINISME Les théories

Le postmodernisme ou l'indécidabilité

Jacques Derrida - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Jacques Derrida

C'est sous l'influence du courant philosophique français dit postmétaphysique que se dessine une troisième position touchant à la définition théorique et pratique des sexes. On peut y relever des références à Michel Foucault ou à Gilles Deleuze, mais c'est Jacques Derrida qui, dans son enseignement régulier et très médiatisé aux États-Unis, en sera le principal porte-drapeau.

Jacques Derrida récuse le caractère unaire du signifiant phallique. Il associe à la critique du logocentrisme déployée par Heidegger – critique du rapport au monde fondé sur la maîtrise et sur l'un – la critique du phallocentrisme, et forge ainsi le terme de « phallogocentrisme » pour caractériser et dénoncer la tradition métaphysique occidentale à la fois logocentrique et phallocentrique. Sous sa plume et dans sa perspective, la différence des sexes, sans être niée, ne peut être pensée sous une forme duelle : c'est une différance, c'est-à-dire un mouvement de perpétuel différer, rendant inidentifiables ses pôles. S'il qualifie de « féminine » cette position d'indécidabilité des frontières sexuées, c'est en un sens métaphorique. Le féminin est en effet une forme d'être au monde et de penser à laquelle il s'identifie lui-même. Ainsi n'hésite-t-il pas à affirmer – reprenant une citation de Maurice Blanchot : « Je suis une femme », la position spéculative tenant lieu, à moindres frais, de la révolution socio-politique qui, selon lui, ne fait que conforter par le régime de l'opposition le dualisme sexué. La chance du nouveau réside non dans la lutte mais dans le jeu, ainsi que Derrida l'exprime au cours d'un dialogue avec une féministe américaine. Cette position, qui inspirera un courant important du féminisme universitaire américain, aura peu d'impact sur le féminisme français.

C'est beaucoup plus tard qu'elle atteindra indirectement celui-ci par le détour de la queer theory, qui tente d'affirmer l'indécidabilité des sexes à travers celle des sexualités, thèse soutenue en France par certains leaders intellectuels du mouvement homosexuel qui se revendiquent de l'œuvre de Judith Butler. Le « nomadisme », soutenu antérieurement comme féminin (Rosi Braidotti), se traduit désormais en « transgenre ». La réalité de celui-ci est toutefois contestée par certains penseurs de l'homosexualité comme Leo Bersani.

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur honoraire, Bruxelles et Paris

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Pour citer cet article

Françoise COLLIN. FÉMINISME - Les théories [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Simone de Beauvoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Simone de Beauvoir

Carol Gilligan, un regard différent sur la responsabilité - crédits : D.R.

Carol Gilligan, un regard différent sur la responsabilité

Jacques Derrida - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Jacques Derrida

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