Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FÉMINISME Les théories

Ce qu'on désigne sous le terme « féminisme » est un mouvement complexe à la fois politique, social, culturel et intellectuel, qui s'est affirmé dans le dernier tiers du xxe siècle au sein de la culture occidentale (États-Unis et Europe) pour s'étendre ensuite, sous des formes diverses, à toutes les régions du monde. Il met théoriquement et politiquement en question la relation entre les sexes qui a assuré séculairement « la domination masculine » (P. Bourdieu), ainsi que leurs définitions.

En effet si, à travers toute l'histoire humaine, la différence des sexes s'est traduite dans des formes sociales et culturelles multiples et a fait l'objet de conceptions religieuses et philosophiques diverses, c'est cependant toujours sur la base d'une structure duelle, hiérarchique et inégalitaire, diversement modulée, constituant un « invariant » (F. Héritier) relayé par la démocratie elle-même : celle-ci dans sa version grecque (N. Loraux) comme dans sa version moderne, se contente de substituer au patriarcat un fratriarcat (C. Pateman). C'est par son caractère global que le féminisme contemporain se distingue des manifestations sporadiques qu'il avait connues au cours des siècles antérieurs, manifestations qui étaient généralement liées à un objectif sectoriel et/ou concernaient un groupe déterminé. Ce mouvement conteste désormais structurellement les formes tant économiques que sociales, politiques, culturelles, privées ou sexuelles, du rapport entre les sexes.

Simone de Beauvoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Simone de Beauvoir

Il faut porter au crédit de Simone de Beauvoir d'avoir, en 1946, avec Le Deuxième Sexe, su repérer et articuler pour la première fois dans une réflexion générale les manifestations les plus diverses de la dualisation hiérarchique des sexes, et les formes variées sous lesquelles celle-ci se décline à travers les périodes de l'histoire et les cultures : formes sexuelles, reproductives, intellectuelles, culturelles, politiques, économiques, etc., qui font qu'« on ne naît pas femme, on le devient ». Même si les analyses sont d'inégales valeurs, et si le modèle humain proposé semble celui qu'incarne la masculinité, des phénomènes abordés jusque-là en ordre dispersé sont désormais structurellement problématisés. Une problématique qui ne cessera de se développer, suivant des chemins divers dans la pensée et la pratique.

Trente ans plus tard, ce livre, qui fit scandale lors de sa parution, aura sa traduction dans le réel à travers le surgissement du « mouvement de libération des femmes », sans qu'il faille y voir un lien de cause à effet : les premières théoriciennes et activistes du féminisme des années 1970, tant américaines que françaises, ont pour la plupart lu Le Deuxième Sexe et s'y réfèrent, mais sans adopter nécessairement sa perspective théorique ou partager ses analyses.

Spécificité du féminisme

Phénomène complexe, irréductible aux autres phénomènes socio-politiques connus, tout comme à ses manifestations sporadiques antérieures, le mouvement féministe de la fin du xxe siècle manifeste son originalité tant dans son organisation et ses modes de développement, que dans son rapport à la théorie. En effet ce mouvement ne comporte pas de doctrine référentielle, pas plus qu'il ne s'organise en parti politique – et les rares tentatives faites en ce sens échouent. Il ne comporte pas de leader authentifié, même si des personnalités s'y manifestent, inaugurant divers courants de pensée et d'action. Et il n'a pas la représentation, fût-elle utopique, de sa fin : il ne définit pas les formes de la société idéale à atteindre. Il s'agit donc, dans la pensée comme dans la pratique, d'un mouvement acentrique dont les modes opératoires sont originaux : ce qui le rend inidentifiable sur la scène des objets politico-sociaux répertoriés jusque-là. Le[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur honoraire, Bruxelles et Paris

Classification

Pour citer cet article

Françoise COLLIN. FÉMINISME - Les théories [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Simone de Beauvoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Simone de Beauvoir

Carol Gilligan, un regard différent sur la responsabilité - crédits : D.R.

Carol Gilligan, un regard différent sur la responsabilité

Jacques Derrida - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Jacques Derrida

Autres références

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    ...littérature des femmes à l'écriture introspective du moi et à l'écriture-thérapie qui sera le ferment du courant dominant de la littérature des années 1980. Oppression, soumission, répression sexuelle, viol, solitude, isolement, froideur sont les thèmes principaux de la littérature des femmes qui n'évite ni...
  • ALLEN PAULA GUNN (1939-2008)

    • Écrit par Universalis
    • 566 mots

    Poétesse, romancière et essayiste américaine, Paula Gunn Allen mêle dans son œuvre les influences du féminisme et de ses racines amérindiennes.

    Paula Gunn Allen, née Paula Marie Francis le 24 octobre 1939 à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, est la fille d'un Américain d'origine libanaise et d'une...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    Le roman néo-réaliste des années 1950 a rencontré un écho dans le roman féministe, apparu au cours des années 1960. Là aussi, on décrète que la littérature, pour sonner juste et avoir quelque force, doit être tirée du vécu ; seconde source d'inspiration : le culte de la solidarité féminine, qui a pour...
  • Afficher les 101 références

Voir aussi