FAMILLE Le statut de l'enfant dans la famille contemporaine
L'autonomie comme forme de gouvernance de soi
L'usage du terme « roi » peut tromper. Il faut préciser la nature du royaume de ces nouveaux rois. L'enfant est, voudrait être, devrait être roi de son monde, de sa culture. Il n'a pas à être le roi d'un royaume où les parents, ses frères et sœurs, ses amis seraient ses sujets. Le type de pouvoir auquel a droit l'enfant moderne porte un nom, l'autonomie. L'enfant doit participer le plus possible à l'élaboration de l'univers dans lequel il vit. Même la loi sur l'autorité parentale du 4 mars 2002 qui n'a pas voulu admettre que les parents et les enfants se doivent un respect mutuel – suivant les recommandations du rapport Rénover le droit de la famille (F. Dekeuwer-Défossez, 1999) – demande au père et à la mère d'exercer leur autorité « dans le respect dû à [la] personne » de l'enfant : « les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ». Cet énoncé, qui résulte d'un long travail préparatoire, reconnaît à l'enfant une certaine autorité sur sa propre vie.
L'enfant participe à la production du monde dans lequel il vit. Et il le fait, de plus en plus, sans attendre un rituel de passage à l'âge adulte qui lui donnerait enfin accès à la propriété de soi et de sa vie. C'est pour cela que le monde social peut sembler fou. L'âge d'accès à la majorité donne le droit de vote et la pleine capacité juridique, mais un jeune n'attend pas ses dix-huit ans pour être maître de certains morceaux de son existence. Ainsi une jeune fille peut acheter en pharmacie, sans l'accord de ses parents, la pilule du lendemain. Ainsi un jeune peut aller voir certains films interdits aux moins de douze ans, de seize ans, preuve que plusieurs étapes existent dans le développement. Ainsi a-t-il le droit d'être entendu dans toute procédure administrative ou judiciaire l'intéressant, selon l'article 12 de la Convention de New York et l'article 388-1 du Code civil (G. Henaff, 2000)... Ce flou sur les âges, qui donne une impression de désordre, traduit non une hésitation dans la définition de l'enfance, mais une conception positive. Selon la maturité, le discernement de l'enfant (évalués, par approximation ou facilité, par des bornes d'âges) et selon les pratiques considérées, le jeune est plus ou moins responsable de lui-même : il obtient, dans la majorité des cas, vers douze ans, le droit d'aller voir un ami chez lui dans la journée, et sans être accompagné par un adulte. Il devra attendre seize ans pour se rendre chez le même ami, dans les mêmes conditions le soir (F. de Singly, 2002). La liberté de circuler, progressive, est une des conditions de construction du monde des jeunes, en leur permettant de découvrir des horizons peu ou mal connus par les adultes.
Même si les deux dimensions sont liées, cette indépendance ne se confond pas avec l'autonomie (A. Renaut, 1989 ; K. Chaland, 2001). En schématisant, l'indépendance désigne le refus de tout lien de dépendance et le travail d'émancipation vis-à-vis de ces liens, alors que l'autonomie c'est la construction personnelle de « son » monde. L'autonomie n'est pas incompatible, bien au contraire, avec des règles, à la condition que ces dernières soient fixées par l'individu lui-même. En différenciant bien ces deux valeurs, ces deux idéaux, on peut comprendre la spécificité de l'enfance et de la jeunesse. Il s'agit d'un âge pendant lequel l'autonomie peut exister à l'intérieur du maintien d'un certain lien de dépendance, objective, à la fois économique et spatiale (F. de Singly, 2000). Pour ne prendre qu'un exemple, un jeune peut recevoir de l'argent de poche de ses parents ou de ses grands-parents – rappel du lien de dépendance économique –[...]
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Écrit par
- François de SINGLY : professeur des Universités, faculté des sciences sociales de la Sorbonne, directeur du Cerlis (C.N.R.S.-université de Paris-V)
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