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ÉZÉCHIEL (env. 627-env. 570 av. J.-C.)

Le Livre d'Ézéchiel et sa postérité

En dépit de ses qualités littéraires modestes, le Livre d'Ézéchiel parvint à maintenir sa grande autorité. Ben Sira (190 av. J.-C.) en est le témoin antique ; Schiller aurait voulu apprendre l'hébreu pour le lire dans l'original et Victor Hugo le placera avec Homère, Eschyle, Juvénal et quelques autres dans « l'avenue des géants immuables de l'esprit humain ». Cependant, l'utilisation d'Ézéchiel fut souvent ressentie comme inconfortable et même coupable, et sa carrière est remplie d'obstacles et d'omissions, mais aussi de complicités aux effets créatifs.

Le Livre d'Ézéchiel a eu beaucoup de mal à se faire admettre dans le canon juif des Écritures. Sa partie législative se trouva en désaccord, dès le ive siècle avant J.-C., avec le Pentateuque, définitivement constitué et homologué comme l'œuvre de Moïse. Aussi les rabbins du ier siècle voulurent-ils le retirer du corpus officiel pour éviter de troubler la conscience populaire. Il fallut bien des artifices d'interprétation pour le laver des graves suspicions dont il était l'objet et ainsi lui éviter de devenir apocryphe (Talmud, Shabbat 15 b, Hagiga 13 a). Encore au ive siècle, Jérôme écrira qu'Ézéchiel « a enrobé les principes et la fin de tant d'obscurité que, chez les Hébreux, ces parties ainsi que le début de la Genèse n'étaient pas lus avant l'âge de trente ans » (Lettres 53, « Ad Paulinum »).

Or ces difficultés de reconnaissance et de canonisation étaient l'indice de richesses que d'autres courants juifs, minoritaires il est vrai, surent exploiter. La « vision du char » servit de base aux mouvements mystiques et aux spéculations ésotériques que l'on appela Merkabah (ce mot hébreu signifie « char »). Dans le cadre de leur polémique antijuive, les chrétiens durent utiliser, de leur côté, les sévères dénonciations d'Israël par le Prophète. Mais c'est la production dite apocalyptique qui fit surtout d'Ézéchiel sa source privilégiée, principalement par sa conception du Temple « révélé » (Apocalypse syriaque de Baruch IV, lix, 3-11 ; Livre des Antiquités bibliques ou Pseudo-Philonxix, 10 et certains passages du Nouveau Testament). Dans la vision originale du prophète, l'hostilité que manifesteront les apocalypticiens et aussi les Qumrânites envers le sanctuaire « corrompu » de Jérusalem était en germe. Un temple « incorruptible » de remplacement s'édifia ensuite dans l'écriture apocalyptique, dont Ézéchiel est, à la vérité, l'ancêtre. D'ailleurs, si le christianisme primitif préféra aux visions d'Ézéchiel les poèmes d'Isaïe, de Jérémie et du Deutéro-Isaïe, il en va tout autrement pour l'Apocalypse de Jean : elle se réfère tellement au vocabulaire, aux formules et images et jusqu'à la structure même d'Ézéchiel, qu'elle cite plus de cinquante fois, que d'aucuns ont vu en elle une « réinterprétation chrétienne » du livre. Dans ce contexte, l'œuvre d'Ézéchiel dut avoir un grand rayonnement dans les fraternités du Désert de Juda. Certes, seuls quelques fragments de manuscrits ont été trouvés (dans les Grottes, I, III et XI de Qumrpân), mais le nombre des citations relevées dans l'ensemble des textes qumrâniens est très important.

— André PAUL

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Pour citer cet article

André PAUL. ÉZÉCHIEL (env. 627-env. 570 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • APOCALYPTIQUE & APOCRYPHE LITTÉRATURES

    • Écrit par Jean HADOT, André PAUL
    • 9 934 mots
    Avec les prophètes déjà exiliques Jérémie et Ézéchiel, les choses changèrent en profondeur. Il y eut à cela deux résultats : l'un, théorique en quelque sorte, fut le passage d'une finalité éthique, ou « eschatologie », reposant sur l'histoire à une autre, toute différente, impliquant la vision...
  • BESTIAIRES

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD, Daniel POIRION
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    ...comme les symboles des quatre évangélistes sont aussi désignés par le terme de Tétramorphe. L'origine s'en trouve au chapitre premier d' Ezéchiel, décrivant une vision mystique, que répète le chapitre iv de l'Apocalypse. Voici le début de la description d'Ezéchiel : « Et dans le centre...
  • BIBLE - Les livres de la Bible

    • Écrit par Jean-Pierre SANDOZ
    • 7 687 mots
    • 4 médias
    ...temple de Jérusalem, peu avant la catastrophe nationale (prise de Jérusalem par Nabuchodonosor en 587), que surgit une figure prophétique originale, Ézéchiel. A-t-il vraiment vécu à Jérusalem ou commença-t-il sa prédication à Babylone ? On ne le sait. Marqué par son origine sacerdotale, il fut toujours...
  • CHÉRUBINS

    • Écrit par André PAUL
    • 239 mots

    Mot français qui correspond à l'hébreu kerubim, pluriel de kerub, l'un et l'autre étant employés dans la Bible. On les rapproche des termes akkadiens karibu ou kuribu, qui désignaient la figuration, en Mésopotamie, de divinités de second rang (karibu signifie bénir et correspond...

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Voir aussi