Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ÉTHOLOGIE

L'opposition malheureuse des causes proximales et des causes ultimes

Très vite, le champ de l'éthologie avait réduit les quatre questions de Tinbergen à deux ensembles : celui de la causalité proximale (points 1 et 3) et celui de la causalité ultime ou distale (points 2 et 4). En 1969 déjà, Tinbergen s'inquiétait de ce que les sciences du comportement portent trop d'intérêt aux facteurs d'ordre proximal du comportement et était persuadé qu'on devait attacher autant d'importance à comprendre les effets du comportement, le rôle qu'ils jouent pour la survie de l'espèce. En d'autres termes, il insiste sur le fait qu'il faut étudier la fonction des comportements. Cependant, les éthologues européens étaient bien conscients que le comportement animal est un phénomène biologique et, ainsi, un produit de l'évolution. Ils insistaient sur ce fait bien qu'on leur ait souvent reproché de négliger l'approche ultime du comportement. En réaction à ces critiques, l'écologie comportementale voit le jour.

Ce nouveau courant doit son origine à la présentation que fit Edward Wilson, en 1975, de la théorie de Hamilton dans son ouvrage Sociobiology. A New Synthesis ; il y développe des concepts tels que la valeur de survie, la sélection de parentèle (sélection des comportements altruistes dirigés vers des apparentés) et l'évolution de l'altruisme et des groupes sociaux. Pour les tenants de l'écologie comportementale, cette synthèse pose les fondements d'une approche évolutionniste du comportement social. Avec la nouvelle vision du vivant des années 1960, les gènes sont au centre des préoccupations scientifiques et l'animal est considéré comme un simple vecteur de son bagage génétique ( R. Dawkins). Dans la logique évolutionniste, pour qu'un comportement soit retenu au cours de la sélection naturelle, il doit conférer à l'individu qui le présente un avantage qui l'emporte sur les inconvénients et les risques qu'il peut engendrer. En 1978, John Krebs et Nicholas Davies co-éditent Behavioural Ecology : an evolutionary approach, où ils reprennent l'approche de Wilson mais en l'appliquant à l'ensemble des comportements. Très rapidement, l'écologie comportementale affirme incarner à elle seule l'étude scientifique du comportement alors qu'elle se concentre sur les causes ultimes et néglige les mécanismes qui sous-tendent les comportements, ne réalisant ainsi qu'une partie du programme fondateur de Tinbergen. Par exemple, l'altruisme réciproque a été proposé par l'écologie comportementale afin d'expliquer la coopération entre individus non apparentés (on peut aider un individu non apparenté s'il nous aide en retour). Depuis lors, il a été démontré que la majorité des animaux ne possèdent pas les capacités cognitives nécessaires à la réalisation d'un tel comportement (évaluer ce qu'on a donné et ce qu'on a reçu) (J. R. Stevens et al., 2005 ; A. Ramseyer et al., 2006 ; K. Jensen et al., 2006). Tenir pour acquis que les animaux développent des stratégies sans avoir préalablement exploré s'ils en étaient réellement capables revient à déconnecter les causes proximales des causes ultimes et peut conduire à des interprétations erronées des comportements.

Ainsi, la confrontation de la perspective fonctionnaliste (causalité ultime) et du point de vue structuraliste (causalité proximale), qui existait déjà au temps de Darwin, reste d'actualité. Les recherches évolutionnistes – qui présument que les divers aspects morphologiques, physiologiques et comportementaux des organismes représentent des solutions adaptatives optimales aux problèmes rencontrés par les individus – sont regroupées par Richard Lewontin (1979) sous le vocable de programme adaptationniste. Ce programme[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Odile PETIT. ÉTHOLOGIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Charles Darwin - crédits : Spencer Arnold/ Getty Images

Charles Darwin

Nikolaas Tinbergen - crédits : Nina Leen/ The LIFE Picture Collection/ Getty Images

Nikolaas Tinbergen

Autres références

  • FONDEMENTS DE L'ÉTHOLOGIE

    • Écrit par Raymond CAMPAN
    • 251 mots

    C'est par un débat contradictoire autour du concept d'instinct que l'éthologie – étude comparative du comportement animal – s'est constituée en science autonome. Elle est fondée sur les travaux de l'Autrichien Konrad Lorenz (1903-1989) et du Néerlandais Nikolaas...

  • HISTOIRE DE L'ÉTHOLOGIE - (repères chronologiques)

    • Écrit par Raymond CAMPAN
    • 976 mots

    1854 Isidore Geoffroy Saint-Hilaire utilise pour la première fois le terme « éthologie » dans son sens actuel (étude comparative du comportement animal) pour désigner les descriptions des mœurs des animaux telles qu'elles ont été faites par Aristote, Buffon, Réaumur, G. Leroy ou Lamarck....

  • AGRESSIVITÉ, éthologie

    • Écrit par Philippe ROPARTZ
    • 3 931 mots

    Compte tenu des modes linguistiques adoptées par les milieux scientifiques, ce terme ambigu d'agressivité devrait désigner beaucoup plus une éventuelle pulsion agressive, que dénient la plupart des spécialistes, que son expression comportementale, à savoir l'agression.

    Au cours de la...

  • BIOLOGISME

    • Écrit par Sébastien LEMERLE, Carole REYNAUD-PALIGOT
    • 2 772 mots
    ...sur la période, les sciences de la vie se développent sensiblement, en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, que cela soit dans le domaine de l’éthologie (Konrad Lorenz), de la biologie moléculaire et de la génétique (James Watson et Francis Crick), ainsi que des neurosciences, dont les...
  • COGNITION

    • Écrit par Chrystel BESCHE-RICHARD, Raymond CAMPAN
    • 2 626 mots
    ...catégorisation d'objets, d'abstraction et de raisonnement au service de comportements intentionnels destinés à satisfaire les attentes de l'animal. L'éthologie naissante fait appel à des représentations, innées ou construites, des signaux de reconnaissance des objets fonctionnels et des congénères...
  • COLÉOPTÈRES

    • Écrit par Robert GAUMONT
    • 4 212 mots
    • 11 médias
    Lesmodes de vie de la larve et de l'adulte sont le plus souvent identiques (comme chez les coccinelles, prédatrices de pucerons à tous les stades, ou chez le doryphore, qui mange les feuilles de pomme de terre au stade larvaire comme à l'état adulte), mais l'éthologie de la forme...
  • Afficher les 53 références

Voir aussi