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MUNCH EDVARD (1863-1944)

La Frise de la vie

Pour Edvard Munch, la quête de vérité mystique est plus importante qu’une carrière de peintre établi. Son objectif, dès sa jeunesse, est d’élaborer un projet ambitieux, tourmenté et subtil, unique en son genre : la « Frise de la vie », qu’il ne cessera de reprendre, d’augmenter et de modifier.

Dans l’une de ses notes littéraires, Munch qualifie son grand œuvre de « poème de vie, d’amour et de mort », trois thèmes qui l’obsèdent, passionnément et sans tabou. La contemporanéité du Norvégien réside précisément dans l’alliage de ces éléments et de sa portée réflexive : l’œuvre d’Edvard Munch a la singularité de prendre pleinement conscience de l’existence et d’analyser, en particulier, un sentiment universellement partagé, l’angoisse de la mort (L’Odeur de la mort, 1895). Il interroge sans détour cette peur que l’on préfère évacuer ou ignorer. Munch, lui, acceptera son destin de mortel, dans le seul but d’apprendre à mieux vivre. Il considère la vie et la mort comme un tout essentiel et indissociable. Plus qu’aucun autre peintre moderne, il étudie, sans déni, non seulement la place des morts dans son cercle privé, mais aussi, plus généralement, la place de la mort dans la société occidentale (Lutte contre la mort, 1915).

Munch s‘est en effet consacré pendant des décennies à peindre les émotions de l’âme dans ce que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’essai philosophique. L’idée de raconter visuellement la condition humaine – « pour aider d’autres personnes à clarifier leur vie », affirme-t-il – germe tôt dans son esprit. Si elle émane de son enfance malheureuse, elle se nourrit aussi de la littérature et du théâtre scandinaves, au répertoire violent et rédempteur, avec, entre autres, les œuvres d’Henrik Ibsen. Ces sources d’inspiration autobiographiques et fictionnelles lui ont permis d’élaborer des images ultrasensibles, saisissantes par leur sujet et leur style, relevant – selon la doxa nordique de la fin du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle – du néoromantisme et du vitalisme, deux esthétiques contemporaines des mouvements symbolistes et expressionnistes.

À partir de 1892, Edvard Munch expose des séries de peintures et de gravures plus d’une dizaine de fois, dans un ordre choisi selon son humeur du moment. En 1919, il rappelle dans un opuscule son concept artistique, qu’il a rebaptisé définitivement « Frise de la vie » en 1918, à l’occasion d’une exposition à la galerie Blomqvist, à Kristiania : « La frise a été conçue [dans les années 1880] comme une série cohérente dont l’ensemble constitue un panorama de la vie. L’interminable ligne du rivage, derrière laquelle écume la mer éternellement mouvante, la parcourt de bout en bout ; sous les arbres la vie respire dans toute sa diversité, avec ses peines et ses joies. J’ai ressenti cette frise comme un poème de vie, d’amour et de mort » (Songe d’une nuit d’été. La voix, 1893).

Munch se souvient ici des circonstances particulières dans lesquelles les premiers motifs de la Frise ont vu le jour : à l’été 1885, sur une plage près d’Åsgårdstrand, Munch tombe amoureux pour la première fois. L’élue de son cœur est une femme mariée et plus âgée que lui. Sa liaison avec Milly Thaulow – qui n’est autre que la belle-sœur du paysagiste norvégien Frits Thaulow, un cousin éloigné de Munch – sera intense, mais de courte durée. Une fois éconduit, Edvard Munch sort anéanti de cette passion jugée contraire à la morale. Le choc émotionnel est tel qu’il provoque chez le peintre des troubles psychiques, semblables à ceux déclenchés plus tôt, sur un même registre affectif, par la mort de sa mère Laura en 1868 et de sa sœur aînée Sophie en 1877, toutes deux tuberculeuses. Dorénavant, c’est de son mal-être et de ses traumatismes que Munch veut parler dans sa peinture, de son[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain, université Paul-Valéry Montpellier 3

Classification

Pour citer cet article

Frank CLAUSTRAT. MUNCH EDVARD (1863-1944) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • EDVARD MUNCH, L'ŒIL MODERNE (exposition)

    • Écrit par Lionel RICHARD
    • 973 mots

    Le début de carrière du peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944) date des années 1880. Séjournant à Paris et à Berlin, il a acquis une réputation européenne avant 1914. Une nouvelle exposition au Centre Georges-Pompidou à Paris (21 septembre 2011 - 23 janvier 2012), avec pour commissaires Angela...

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