ÉDITION DU GÉNOME HUMAIN
Depuis l’achèvement en 2004 du projet Génome humain, entrepris au début des années 1990, dont l’objectif était de procéder à la première lecture intégrale des trois milliards de bases que contient l’ADN humain, les avancées de la génétique sont fulgurantes. Outre le séquençage du génome, qui se réalise désormais à « très haut débit » et qui tend à se banaliser pour les parties codantes de l’ADN, un autre aspect de la révolution génomique a consisté à inventer des techniques d’ingénierie génétique qui permettent de modifier le génome. Cette « édition du génome », traduction de l’expression anglaise genomeediting, dont les instruments ont été conçus au cours des années 2000, s’est trouvée facilitée par la mise au point à partir des années 2010 d’outils moléculaires de plusieurs types, dont le plus connu bien que déjà remplacé a été baptisé CRISPR-Cas9. Grâce à ces outils il est possible, en reprenant l’expression de Jacques P. Tremblay, de « modifier spécifiquement le gène ciblé, réduire ou augmenter l’expression d’un gène choisi », c’est-à-dire de corriger « à volonté » la structure même de l’ADN très exactement là où on le souhaite. Par rapport aux techniques antérieures de transgenèse ou de recombinaison homologue, ces outils ont en effet l’avantage d’être précis, fiables, faciles à utiliser et peu coûteux, ce qui explique l’énorme intérêt suscité dans le milieu scientifique et médical comme dans le secteur économique des biotechnologies. Avec ces outils d’édition, il devient possible de remplacer – et donc de corriger – des séquences altérées d’un gène par des séquences normales et cela aussi bien sur les cellules somatiques (l’immense majorité de celles du corps) que sur les cellules germinales (celles qui sont à l’origine des gamètes, et donc de la reproduction). Appliquée à l’homme, l’édition de l’ADN relance la thérapie génique, soulevant à la fois espoirs et questions quant à son usage et ses finalités.
La recherche sur l’édition du génome humain
Le premier essai de thérapie génique chez l’homme remonte à 1990 aux États-Unis sur des patients atteints de cancer. Dans les années 2000, les essais thérapeutiques se multiplient, y compris en Europe, mais il ne s’agit pas encore d’édition du génome, la thérapie consistant à insérer une copie fonctionnelle du gène déficient dans l’ADN du malade. Ce traitement par transfert de gène permet de stopper la progression de maladies évolutives chez certains patients atteints, par exemple, de pathologies neurodégénératives, de déficit immunitaire combiné sévère (DICS), d’hémophilie B ou d’amaurose de Leber (ACL), une dégénérescence visuelle qui mène à la cécité. Les succès, réels, ne sont toutefois pas à la hauteur des espoirs : de délicats problèmes techniques demeurent, entraînant de graves effets indésirables, parfois mortels.
C’est en novembre 2017 qu’est effectuée en Californie la première thérapie par édition réalisée in vivo sur un patient atteint d’une maladie dégénérative, le syndrome de Hunter (dû à l’inactivation d’une enzyme lysosomale), mais l’outil d’édition utilisé – les nucléases à doigts de zinc – est jugé moins performant que CRISPR-Cas9. Autorisés en juin 2016 par les Instituts américains de la santé (NIH), les premiers essais thérapeutiques utilisant CRISPR-Cas9, méthode unanimement considérée comme plus efficace que les précédentes, ont lieu en 2018. En janvier de cette même année, les NIH annoncent un programme de six ans, baptisé Somatic Cell Genome Editing, assorti d’un financement de 190 millions de dollars, visant à promouvoir l’usage clinique de l’édition du génome. Des démarches similaires existent en Europe auprès de l’Agence européenne du médicament. Dans ce domaine, la Chine a une longueur d’avance : les essais visant à traiter des malades atteints de certains cancers ou du VIH auraient débuté dès 2015 et concerneraient un total de 86 patients. Ainsi, l’édition du génome humain n’aura attendu que trois ans après la découverte en 2012 de la technique CRISPR-Cas9. Ces applications ne portent cependant que sur le génome des cellules somatiques et leurs fins sont thérapeutiques.
L’utilisation éventuelle de CRISPR-Cas9 sur le génome germinal (l’ADN des gamètes, ou des embryons avant implantation) est plus controversée car les modifications génétiques opérées seraient alors transmissibles à la descendance. Éditer le génome germinal revient à modifier de manière intentionnelle le patrimoine génétique de l’espèce humaine, le problème n’étant plus simplement technique, mais éthique. Toutefois, des expérimentations sur l’embryon humain ont d’ores et déjà eu lieu. Elles ne visent pas pour le moment à obtenir des bébés mais à tester l’efficacité de CRISPR-Cas9 dans la perspective d’une thérapie génique opérant sur le génome de l’embryon afin de prévenir le développement de la maladie chez l’individu et sa descendance. C’est encore une fois la Chine qui a ouvert le pas. Les premières modifications ciblées du génome germinal ont été réalisées au cours de l’année 2015 sur 86 embryons non viables. Elles ont été suivies par trois autres expérimentations, d’abord en Chine en avril 2016 sur 26 embryons non viables, puis en mars 2017 sur six embryons viables, puis aux États-Unis en juillet 2017 sur 58 embryons viables. Un programme comparable est en cours en Suède depuis septembre 2016.
Sur le plan scientifique, les expériences chinoises n’ont pas été jugées concluantes. Les modifications génétiques effectuées, destinées dans les expériences d’avril 2015 et de mars 2017 à corriger une mutation responsable d’une maladie du sang (la bêta-thalassémie) et dans celle d’avril 2016 à introduire une mutation permettant de résister à l’infection par le VIH, n’ont pas permis d’obtenir les résultats escomptés : les corrections n’apparaissent que dans certaines cellules (effet mosaïque) et on détecte en outre de fréquentes modifications collatérales non recherchées (effet hors cible). L’expérience américaine de juillet 2017 marque un tournant : en révisant le protocole expérimental, elle a réussi dans deux cas sur trois à corriger une mutation à l’origine d’une maladie cardiaque (la cardiomyopathie hypertrophique) sans effets secondaires décelables. Ce qui était à l’origine des échecs chinois est en voie d’être maîtrisé sur le plan technique. CRISPR-Cas9 pourrait ainsi devenir opérationnel sur le génome germinal humain plus rapidement que prévu. Parallèlement, dans le but de diminuer les effets indésirables, des recherches visent à mettre au point d’autres outils d’édition ou à améliorer les outils existants : en octobre 2017, une équipe états-unienne a conçu une technique d’une plus grande précision, baptisée ABE, qui permet, pour corriger une mutation, de réécrire le génome « à la lettre près », c’est-à-dire de corriger un défaut génétique en rétablissant la séquence d’ADN mutée, avec une précision « absolue » et sans coupure de l’ADN. La technique testée sur les cellules d’un malade atteint d’hémochromatose n’en est qu’à ses débuts mais devrait permettre à terme d’améliorer sensiblement les taux de réussite de l’édition en réduisant les effets secondaires.
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Écrit par
- Jean-Hugues DÉCHAUX : docteur en sociologie, professeur des Universités à l'université Lumière-Lyon-II, chercheur au Centre Max Weber (CNRS Lyon)
Classification
Médias
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