DÉRIVÉES PARTIELLES (ÉQUATIONS AUX) Théorie linéaire
Il existe une théorie mathématique assez bien constituée des équations aux dérivées partielles linéaires, dont nous allons essayer de donner une idée. En contraste, les équations non linéaires présentent un foisonnement de problèmes et de méthodes dont peu sont générales. Sans que nous le précisions à chaque fois, certains des résultats que nous allons donner dans le cas linéaire se généralisent au non linéaire. Pourtant, même ceux-là font partie de la théorie linéaire, soit que la généralisation non linéaire soit limitée à des situations trop restrictives, soit qu'elle ne s'insère pas dans une théorie cohérente.
Pour pouvoir conserver les notations de la partie précédente pour les problèmes d'évolution, nous nous placerons sur un ouvert de Rn+1 (à l'occasion Cn+1) et nous noterons en général y = (y0, y1,..., yn) les coordonnées. Pour α ∈ Nn+1, nous poserons :
Un opérateur linéaire aux dérivées partielles (on dit plus brièvementopérateur différentiel) est défini par un polynôme à coefficients pouvant dépendre de y :
À côté de ces notations, il nous arrivera d'utiliser des notations en (t, x) où t ∈ R (ou C) et x ∈ Rn (ou Cn) avec des conventions analogues pour les multi-indices, puissances et dérivations.
Nous ne nous priverons pas à l'occasion de noter les distributions comme des fonctions et les produits scalaires fonctions-distributions comme des intégrales (cf. distributions).
Le théorème de Cauchy-Kovalevskaïa
Supposons l'opérateur P de la forme :
Le problème de Cauchy s'énonce alors : « Trouver u vérifiant :
Le théorème de Cauchy-KovalevskaÎa suppose que les coefficients de P ainsi que les données f, g0, ..., gm-1 sont des fonctions analytiques (réelles ou complexes) de t et de x. Il affirme alors l'existence d'une solution analytique et une seule sur un voisinage de tout point (0, x0). Ce voisinage dépend de P et des domaines d'analyticité complexes des données.
Ce théorème s'applique aussi aux systèmes, pourvu qu'ils soient de la forme :
Le travail de Sofia Kovalevskaïa est paru en 1874 ; apparemment elle ne connaissait pas celui de Cauchy (et son jury non plus puisqu'il s'agissait d'une thèse !).
La démonstration d'unicité est simple et instructive. Si u est une solution analytique, elle possède un développement de Taylor en t :
La démonstration d'existence consiste essentiellement à démontrer la convergence de la série ainsi calculée. Elle repose sur une technique de majoration établie par Cauchy à cette occasion (méthode des séries majorantes).
La même démonstration s'applique d'ailleurs au système non linéaire (4) moyennant des complications légères.
Unicité de la solution distribution
Le théorème de Cauchy-Kovalevskaïa n'exclut pas l'existence de solutions non analytiques au problème de Cauchy. Cette lacune a été comblée, en 1901 par le théorème de Holmgren qui affirme l'unicité des solutions « classiques » (c'est-à-dire m fois différentiables). Très élégante, la démonstration de Holmgren est remarquable pour l'époque par la façon dont elle met en jeu des idées de l'analyse moderne : dualité et densité.
Le résultat de Holmgren a été étendu par Hörmander aux solutions distributions. Il est nécessaire dans ce nouveau cadre de reformuler le problème, puisque la restriction d'une distribution à l'hyperplan t = 0, qui intervient dans les données de Cauchy, n'a a priori pas de sens. Notons θ la fonction qui vaut 0 pour t < 0 et 1 pour t ≥ 0, et δ la distribution de Dirac. La fonction u vérifie les conditions (2) et (3) si et seulement si on a l'équation entre distributions :
L'unicité de la solution du problème de Cauchy devient ainsi une affirmation sur le support des distributions qui vérifient l'équation :
Le problème de Cauchy en coordonnées générales : hypersurfaces caractéristiques
Dans certaines situations, on a besoin d'étudier un problème de Cauchy où les données, au lieu d'être portées par l'hyperplan t = 0, le sont par une autre hypersurface Σ. Il y a donc lieu de voir si on peut trouver des coordonnées (t, x) telles que :
a) l'opérateur P prend la forme (1) au produit près par une fonction non nulle (nous pourrons diviser le second membre par cette fonction) ; cela revient à dire que le coefficient de (∂mu)/(∂tm) ne s'annule pas ;
b) l'équation de Σ devienne t = 0.
Supposons donc que Σ soit définie par une équation S(y) = 0, où S est une fonction analytique dont le gradient ne s'annule pas. Nous prenons pour nouvelles coordonnées t = S(y) et des fonctions x1, ..., xn de façon que l'ensemble (t, x) fasse un système de coordonnées. Un calcul sans histoire montre que le coefficient de (∂mu)/(∂tm) est :
Trois cas peuvent alors se présenter.
Le premier cas est dit non caractéristique : l'expression (6) est non nulle ; le théorème de Cauchy-Kovalevskaïa et celui de Holmgren s'appliquent au problème de Cauchy avec données portées par Σ.
Le deuxième cas est le cas caractéristique, c'est-à-dire que l'équation :
Il reste des cas intermédiaires où l'expression (6) s'annule, mais pas identiquement. C'est le plus délicat. Il y a lieu à ce sujet de signaler les résultats de Leray sur l'uniformisation du problème de Cauchy : la solution se ramifie autour de la variété où l'expression (6) s'annule.
Un point important à retenir est que les hypersurfaces qui peuvent faire partie de la frontière du support d'une solution de l'équation (7) sont les caractéristiques. Un autre est la caractérisation des équations elliptiques : elles n'ont pas de caractéristiques réelles. Dans le cas elliptique, il n'y a pas d'hypersurfaces pour limiter le support des solutions de (7), et pour cause : on démontre qu'elles sont analytiques.
Les limitations du théorème de Cauchy-Kovalevskaïa ont été mises en lumière de façon particulièrement claire par Hadamard dans ses Leçons sur le problème de Cauchy (publiées à Yale en 1923 et à Paris en 1932). Elles portent sur trois points liés entre eux qui rendent le résultat inopérant dans les applications physiques :
– sa nature très locale ;
– l'hypothèse d'analyticité des données ; les situations physiques où l'analyticité est une propriété naturelle sont rares et en tout cas ce ne sont pas celles où se posent des problèmes de Cauchy ;
– conséquence des deux circonstances précédentes, une instabilité de la solution : si on modifie les données en leur ajoutant des fonctions analytiques si petites soient-elles, on perd tout contrôle de la solution, et même de son domaine d'existence, si on ne connaît pas le domaine d'analyticité complexe de la perturbation.
Ces limitations expliquent l'importance des équations hyperboliques définies comme celles où il y a encore existence pour le problème de Cauchy à données indéfiniment différentiables (ou à données distributions : si le passage de l'analytique au différentiable implique dans ce problème une différence essentielle, le passage des fonctions différentiables aux distributions est au contraire automatique pourvu que les coefficients soient eux-mêmes indéfiniment différentiables).
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Écrit par
- Martin ZERNER : professeur à l'université de Nice
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