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CLASSES SOCIALES Classes moyennes

L'expression « classes moyennes » désigne des réalités diffuses, multiples, caractérisées selon les traditions nationales par une grande diversité morphologique, marquées aussi par une profonde instabilité historique. Toutes les tentatives de définition statistique rigides, destinées à enfermer cette réalité complexe dans des limites précises et immuables, ont débouché sur des impasses. En réalité, cette malléabilité est une caractéristique centrale du phénomène. Mais par-dessus tout, cette notion est centrale pour comprendre le changement social au long des deux derniers siècles. Il serait dangereux en effet de nier toute existence aux « classes moyennes », car il en résulterait une perte de compréhension de grands retournements sociaux et politiques d'hier et des mutations à l'œuvre dans le monde depuis le début du xxie siècle. En effet, le renchérissement du logement et les incertitudes de la « société de connaissance », la constitution d'une classe d'experts globalisés et les risques de déclassement des titulaires de « capitaux culturels » intermédiaires, sont autant de tendances lourdes qui impliquent une recomposition complexe des classes moyennes.

Des définitions statistiques insatisfaisantes

En français, l'expression classes moyennes a souvent été entendue en un sens statistique, même si l'origine étymologique de l'adjectif « moyen » renvoie en réalité à « milieu », c'est-à-dire au centre de la société. Cette classe demeure ainsi conçue, en France plus qu'ailleurs, comme un groupe relativement médiocre, constitué avant tout de « Français moyens », proches de la moyenne. Cette histoire est singulière et s'oppose aux autres traditions nationales (middle class, ceto medio, clase media, Mittelstand, Medelklass, etc.) qui font référence avant tout à un groupe intermédiaire entre une aristocratie sociale ou financière d'un côté, et le prolétariat ou le peuple de l'autre : une véritable bourgeoisie qui serait souvent une antichambre de l'élite socio-économique. Dès lors, ce que le monde anglo-saxon qualifie de middle class s'apparente généralement à nos « classes moyennes supérieures ». L'interpénétration depuis des décennies de ces différentes traditions nationales laisse transparaître un dénominateur commun, résumé dans le tableau 1, fondé avant tout sur les niveaux de revenus.

Pour autant, une telle construction statistique a lieu de susciter de nombreuses questions. Ici, seul le revenu est présent, mais qu'en est-il du diplôme, du patrimoine ? Quelle unité peut résulter d'un groupe où le pouvoir d'achat va de 14 000 à 55 000 euros par unité de consommation et par an, soit un pouvoir d'achat variant de 1 à 4 ? Y a-t-il une véritable conscience de classe de cet ensemble hétérogène ? En réalité, la vertu du tableau 1 est de souligner d'emblée la diversité des classes moyennes, puisqu'au sein même de chaque strate, l'unité est de façade. Si une définition statistique simple de la « classe moyenne » est à peu près impossible, c'est avant tout que ce groupe social est par nature multiple, « polythétique » comme l'aurait dit Ludwig Wittgenstein, car il agrège une pluralité de sous-groupes qui ont tous un air de famille sans que pour autant une caractéristique spécifique les identifie. Pour autant, lorsque l'on interroge les Français sur leur appartenance, 75 p. 100 de la population se sent membre de la classe moyenne inférieure (43 p. 100) ou supérieure (32 p. 100), un sentiment subjectif qui excède donc paradoxalement les réalités objectives.

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Écrit par

  • : sociologue, professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Classification

Pour citer cet article

Louis CHAUVEL. CLASSES SOCIALES - Classes moyennes [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Classes moyennes : schéma de G. Schmoller - crédits : Encyclopædia Universalis France

Classes moyennes : schéma de G. Schmoller

Autres références

  • ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

    • Écrit par Saül KARSZ, François MATHERON
    • 4 570 mots
    ...se différencient de leur homonyme sociologique par leur caractère tridimensionnel : ils sont à la fois économiques, politiques et idéologiques. Les classes sociales constituent ainsi des configurations éminemment complexes et mouvantes. Par là, pas d'identification entre analyse marxiste et analyse...
  • ANTHROPOLOGIE POLITIQUE

    • Écrit par Georges BALANDIER
    • 5 811 mots
    • 1 média
    Maisle concept de classes sociales fait problème ; son usage en anthropologie reste limité ou ambigu. La théorie marxiste paraissait elle-même inachevée, ou hésitante, en ce domaine ; et les ethnographes soviétiques reconnaissaient la difficulté en utilisant le terme « protoclasse ». La question de...
  • ANTHROPOLOGIE ÉCONOMIQUE

    • Écrit par Maurice GODELIER
    • 5 153 mots
    ...problème reste celui du développement de l'inégalité dans les sociétés primitives et des conditions et voies d'apparition de formes primitives d'État et de classes sociales. Il est utile de rappeler que, dès ses formes les plus primitives, la société archaïque comporte déjà, sur la base de la division sexuelle...
  • ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES

    • Écrit par Virginie MILLIOT
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    ...espace polémique. Les sociologues étudiant les phénomènes de violence et d’anomie dans les ghettos sont régulièrement accusés d’adhérer aux théories de l’underclass et de porter un regard misérabiliste sur ces populations. Quant à ceux qui s’intéressent à d’autres aspects de l’organisation sociale des...
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Voir aussi