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CLASSES SOCIALES Classes moyennes

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L'apogée du modèle européen de « nouvelles classes moyennes salariées »

En réalité, ce paradoxe marquant la disjonction entre les représentations et les réalités des classes moyennes est le legs historique de la période faste qui a vu culminer au cours des années 1970 le modèle européen de « nouvelles classes moyennes salariées ». La période caractérisée par Henri Mendras en 1988 comme la « Seconde Révolution française », qui s'étend de la fin des guerres coloniales à l'installation d'un régime de croissance ralentie après 1985, est marquée par une tendance lourde, celle de la « moyennisation ». Cette notion est intéressante car elle permet de comprendre comment un groupe diffus et sans conscience explicite d'un destin commun a pu se constituer dans le cadre d'une dynamique particulière. Trois dimensions centrales structurent les groupes sociaux diffus qui se sont fondus dans cette dynamique de moyennisation :

– l'homogénéisation des conditions de vie : à l'extrême inégalité du xixe siècle succède à partir de 1945 un régime de croissance où les ouvriers bénéficient d'un enrichissement nettement plus rapide que celui de la bourgeoisie possédante, d'où une concentration de la population au niveaux intermédiaires de la société et l'apparition d'une culture de consommation spécifique ;

– la progression économique continue et la mobilité sociale ascendante : la dynamique d'enrichissement rapide et partagé, tirée avant tout par les salaires et typique de la période des Trente Glorieuses (1945-1975), a généralisé l'idée d'une ascension sociale systématique, chaque nouvelle génération étant destinée à bénéficier dès l'entrée dans la vie d'un niveau de consommation typique de celui des catégories supérieures à celles de ses parents. Surtout, la dépatrimonialisation, autrement dit le fait que le travail salarié permettait peu à peu de se loger et de s'installer dans la vie sans avoir bénéficié au préalable d'un héritage ou d'une aide substantielle de la famille, a permis tout à la fois une amélioration générale des conditions de logement et une expansion des taux de propriété. Il en résultait un effet de trickle down (effet de percolation) au bout duquel tous les éléments de consommation marquant les privilèges de la classe supérieure sont amenés à se diffuser aux catégories inférieures. La progression qui en résulte induit au sein des classes populaires un sentiment d'ascension vers les classes moyennes ;

– la sécurisation des trajectoires sociales : avec l'extension de la « société salariale », qui offre notamment une visibilité de la progression des salaires, une protection sociale en matière de santé, de retraite, de veuvage, et l'ensemble des ressources de sécurité au sens social du terme, les incertitudes et la précarité des catégories salariées d'antan laissent la place à une capacité de projection dans l'avenir qui jusqu'alors avait été le fait des propriétaires. Selon Robert Castel et Claudine Haroche en 2001, la « propriété sociale » ainsi fondée participe d'un « embourgeoisement de la classe ouvrière ».

Ce modèle de croissance a permis l'émergence de « nouvelles classes moyennes salariées » (instituteurs, techniciens, travailleurs sociaux, petits ingénieurs et cadres, etc.) ne partageant en rien, du point de vue de leur mode de vie matériel comme de leur culture et de leur vision du monde, les comportements et les valeurs de l'ancienne petite-bourgeoisie possédante de la « boutique ». Ce nouveau groupe social n'est pas simplement caractérisé par son confort nouveau et son égalitarisme de fait, il développe aussi une culture individualiste, post-matérialiste, hédoniste, et en même temps humaniste et sociale, fondée tout à la[...]

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Écrit par

  • : sociologue, professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Classification

Pour citer cet article

Louis CHAUVEL. CLASSES SOCIALES - Classes moyennes [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Classes moyennes : schéma de G. Schmoller - crédits : Encyclopædia Universalis France

Classes moyennes : schéma de G. Schmoller

Autres références

  • ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

    • Écrit par et
    • 4 570 mots
    ...se différencient de leur homonyme sociologique par leur caractère tridimensionnel : ils sont à la fois économiques, politiques et idéologiques. Les classes sociales constituent ainsi des configurations éminemment complexes et mouvantes. Par là, pas d'identification entre analyse marxiste et analyse...
  • ANTHROPOLOGIE POLITIQUE

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    Maisle concept de classes sociales fait problème ; son usage en anthropologie reste limité ou ambigu. La théorie marxiste paraissait elle-même inachevée, ou hésitante, en ce domaine ; et les ethnographes soviétiques reconnaissaient la difficulté en utilisant le terme « protoclasse ». La question de...
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    ...espace polémique. Les sociologues étudiant les phénomènes de violence et d’anomie dans les ghettos sont régulièrement accusés d’adhérer aux théories de l’underclass et de porter un regard misérabiliste sur ces populations. Quant à ceux qui s’intéressent à d’autres aspects de l’organisation sociale des...
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