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CHIMIE Histoire

La stœchiométrie

John Dalton - crédits : Rischgitz/ Hulton Archive/ Getty Images

John Dalton

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Le rôle de Lavoisier ne s'est pas limité à donner une nouvelle vision de l'ordre matériel, il a donné en même temps un nouveau style au travail du chimiste qui désormais introduit le quantitatif dans le qualitatif. À vrai dire, c'est à la clarté prestigieuse des exposés qu'il faut imputer l'illustration de cette nouvelle exigence qui s'annonçait déjà : l'attestent notamment les travaux de Kirwan et de Wenzel, qui s'attachèrent à l'étude des rapports quantitatifs dans la double décomposition des sels, et surtout les travaux de Richter dont la thèse de 1789, De usu matheseos in chemia, dit bien par son titre le nouveau régime de positivité recherché par les chimistes. Dans son principal ouvrage publié en 1792-1793, sur l'Art de la mesure des éléments chimiques, il introduit les lois de la neutralité chimique et pose les fondements de la stœchiométrie en faisant apparaître la constance de rapports pondéraux dans la composition de diverses familles de corps. Son œuvre n'eut pas le retentissement qu'elle méritait, car Richter conserva les présupposés de la théorie du phlogistique et omit de calculer dans un système cohérent les valeurs des poids équivalents à partir d'une base commune ; ce qui fut heureusement accompli par Franz Fischer dans sa publication des équivalents richtériens sur la base de 100 pour l'acide sulfurique. La publication, en 1803, du tableau des poids équivalents dans l'Essai de statique chimique de Berthollet fit connaître au public savant l'originalité de la stœchiométrie. Mais il est piquant de constater que Berthollet, diffuseur des thèses richtériennes, professait que la composition quantitative des combinaisons chimiques n'était pas constante, mais dépendait plutôt des masses relatives de réactifs ; par là, il pressentait l'idée juste de l'action de masse, mais la postérité lui donnera tort, au bénéfice de son ardent contradicteur Proust, défenseur de la thèse des proportions constantes dans les combinaisons. Les règles de proportionnalité supposées par la stœchiométrie trouveront une expression schématique dans l'hypothèse atomique de Dalton proposée dès 1803 à Manchester, mais répandue seulement en 1807, dans le New System of Chemistry de Thomson. Contrairement à une opinion encore soutenue, Dalton n'a pas cherché d'abord à interpréter les lois empiriques de proportionnalités pondérales notifiées par les chimistes précédents, mais il posa comme première l'intuition de l'hypothèse atomique, reprise aux Anciens. Il se représentait que si les atomes substantiels demeurent invariables dans les transformations de la chimie, chaque particule élémentaire ne peut s'unir qu'à un atome ou à un petit nombre fini d'atomes d'autres éléments ; et, par suite, le rapport des poids des atomes doit se retrouver dans le rapport pondérable des composants d'une combinaison. Mais faute de pouvoir, comme on le fait avec les techniques contemporaines, déterminer le nombre des atomes engagés réellement dans une combinaison unique de deux éléments, il admit arbitrairement que, en ce cas, ces deux éléments s'unissent atome pour atome. Pour Dalton, l'eau est composée d'un atome d' hydrogène et d'un atome d' oxygène, contrairement à ce qui sera admis par la suite. Si, avec Dalton, on prend 1 pour masse atomique de l'hydrogène, il est impossible par simple analyse chimique de décider si l'eau répond à la composition HO (avec, pour masse atomique de l'oxygène, 8) ou H2O avec, en conséquence, 16 pour masse de l'atome d'oxygène. Quant au rapport de composition, les deux propositions sont identiques. C'était une difficulté radicale, qui demandera plus de cinquante ans pour être définitivement résolue. Dalton qui s'intéressait à la météorologie physique avait trouvé que la proportion de l'oxygène dans l'atmosphère est constante et, notamment, indépendante de la pression atmosphérique. En France, Gay-Lussac s'occupait également de physique des gaz, et trouva comme Dalton, et à peu près en même temps, la loi de dilatation uniforme des gaz, assignant la même valeur, 1/266, au coefficient de dilatation, valeur qui sera corrigée par la suite par Regnault et Magnus, qui donneront indépendamment la valeur désormais classique de 1/273. Mais c'est bien à Gay-Lussac qu'il faut attribuer les déterminations appelées à débrouiller les difficultés de la théorie atomique. Il montra en 1805 que les volumes d'oxygène et d'hydrogène qui réagissent l'un avec l'autre sont exactement dans le rapport de 1 à 2. Par la suite, il entreprit l'étude volumétrique d'autres combinaisons (ammoniac + gaz chlorhydrique, anhydride sulfureux + oxygène, etc.) et put en induire que les volumes des gaz entrant en réaction, ainsi que ceux des combinaisons gazeuses sont entre eux dans des rapports entiers proches de l'unité. Nous savons maintenant que la loi de Gay-Lussac, pas plus que celle de Boyle-Mariotte, n'est rigoureusement exacte ; sans doute sont-elles vérifiées avec une bonne approximation pour certains gaz tels que l'hydrogène, l'oxygène et l'azote qui ont un bas point d'ébullition dans l'échelle thermométrique ; mais des vapeurs, tel l'anhydride carbonique dont la liquéfaction est plus aisée, s'écartent davantage du modèle théorique des «  gaz parfaits » que définissent ces lois. Néanmoins, tous les gaz manifestent (avec les solutions diluées) par rapport aux autres états de la matière une identité structurale. Cette supposition devait s'organiser par la médiation d'une hypothèse formulée en 1811 par Avogadro. Selon lui, dans les mêmes conditions de température et de pression, des volumes identiques de divers gaz contiennent le même nombre de molécules. Cette hypothèse très hardie demeura longtemps sans audience ; tout au plus trouve-t-on Ampère pour professer les mêmes idées propres à expliquer la loi de dilatation de Gay-Lussac, et à interpréter la simplicité des lois volumétriques de combinaison, compte tenu de l'hypothèse de Dalton, puisque dans ces vues il ne survient jamais que la réunion d'un petit nombre d'« atomes » d'un élément à un petit nombre d'« atomes » d'un autre élément. Cependant, une grave difficulté se présentait, puisqu' il était avéré qu'un volume d'hydrogène se combine à un demi-volume d'oxygène pour former un volume d'eau. Or, dans l'hypothèse daltonienne, il faut admettre la présence d'au moins une « molécule » d'oxygène dans chaque « molécule » d'eau. Si l'on suppose la synthèse limitée à la formation d'une molécule d'eau, le volume final doit, dans l'hypothèse d'Avogadro, être celui d'une molécule quelconque, donc celui d'une molécule d'oxygène. Pour éviter de conclure que les « molécules » d'oxygène occupent dans la vapeur d'eau un volume double de celui qui est occupé par l'élément, Avogadro fut conduit à admettre la composition de la molécule de l'oxygène élément en deux molécules « élémentaires », en deux atomes dirions-nous aujourd'hui, qui se séparent pour entrer en combinaison dans la molécule d'eau. Si bien qu'on est conduit au schéma :

dans lequel la molécule d'hydrogène est également composée, qui s'accorde avec les proportions volumétriques publiées par Gay-Lussac (deux volumes d'hydrogène plus un volume d'oxygène forment deux volumes d'eau). La diatomicité de l'hydrogène d'abord supposée par homologie avec l'oxygène fut confirmée expérimentalement par la combinaison de l'azote avec l'hydrogène. Ces notions, qui nous apparaissent aujourd'hui d'une lumineuse simplicité dans leur formulation désormais classique, n'eurent d'abord aucun retentissement. La distinction foncière entre atomes et molécules échappait aux chimistes. Ils mirent longtemps à se convaincre qu'il faille séparer, dans la représentation des éléments chimiques, l'atome, plus petite partie pouvant entrer en combinaison, de la molécule, plus petite partie susceptible d'existence propre. Il faudra, finalement, attendre la seconde moitié du xixe siècle pour que ces vues claires soient universellement reçues. Jusque vers 1860, la plupart des chimistes étaient engagés dans des systèmes incohérents d'équivalents, qualifiés de poids atomiques, sans qu'ils puissent s'accorder sur un terme unique de référence. Sans doute Laurent, Gerhardt et Frankland élaborèrent-ils des théorisations cohérentes à nos vue classiques, mais il faut attendre l'article de S. Cannizzaro « Sunto di un corso di filosofia chimica », publié en 1858 dans Il Nuovo Cimento, pour voir clairement systématisées la théorie d'Avogadro et la claire distinction entre atomes et molécules. Fortement impressionné par la cohérence doctrinale des thèses de Cannizzaro qu'il connut en 1860 pendant le premier Congrès international de chimistes à Karlsruhe, Lothar Meyer leur assura un succès définitif en les développant dans son Modernen Theorien der Chemie de 1864.

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Robert Boyle

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