CATHOLICISME La crise postconciliaire
Les pratiques religieuses
Le déplacement qui s'est opéré vers l'éthique explique en partie l'effondrement de ces pratiques de plus en plus superficielles. Les statistiques ne manquent pas à ce sujet. Par exemple, aux États-Unis, où, de 1880 à 1960 (date de l'élection de Kennedy), le catholicisme était passé de 5 à 40 millions, un reflux se constate. Ainsi, de 1965 à 1975 : la pratique de la messe hebdomadaire est tombée de 71 p. 100 des catholiques à 50 p. 100 ; les séminaristes, de 49 000 à 17 000 le nombre des religieuses a diminué de 25 p. 100, celui des frères, de 30 p. 100, enfin 45 000 religieuses et 10 000 prêtres ont quitté leur ministère et souvent l'Église ; les écoles catholiques ont perdu 2 millions d'élèves. Il en va de même un peu partout.
Mais qu'est-ce que l'on compte avec ces chiffres ? Si, comme bien des enquêtes le montrent, ces pratiques tendent à devenir des phénomènes plus sociologiques que religieux, et si un nombre croissant de croyants les refuse précisément par conviction chrétienne, comment se fier encore à leur quantification comme au temps où la foi avait pour test l'allégeance dominicale, paroissiale et sacramentelle ? Les catholiques sont de moins en moins dans leurs gestes et dans leurs langages d'autrefois.
Le trait le plus significatif est ici le déplacement de la sacramentalité. Le sacrement scellait un rapport entre un dire et un faire ; il exprimait et il effectuait ; il était l'annonce et l'œuvre de la foi. Aussi constituait-il le point nodal de l'expérience catholique. La lente érosion de ce rapport (qui a versé progressivement du côté des « liturgies de la parole » ou de la verbalité cléricale) et l'irréalisme de discours privés d'efficace (plutôt que « vrai », le langage religieux est dans son essence un discours « efficace », sauveur) détournent de plus en plus les croyants de ces paroles sans « force ». C'est l'engagement social et politique qui prend valeur sacramentelle, et, tout autant, la rencontre d'un autre dans la relation conjugale ou parentale. Déplacement ou ersatz de sacrements ? En tout cas, ces expériences de solidarité et de communication forment, d'un point de vue ecclésial, un immense laboratoire de la sacramentalité catholique contemporaine ; elles présentent d'ailleurs des polarisations où se reconnaissent encore les sept variantes sacramentelles de naguère, et elles peuvent être interrogées comme les figures possibles de nouveaux rapports entre le dire et le faire.
Réciproquement, la liturgie s'esthétise. Elle n'est plus vraie (pensable) ni efficace (opératoire), mais elle peut être belle – belle comme une fête, comme un chant, comme un silence, comme une éphémère extase de communion collective. Le succès des monastères compense l'évidement des églises paroissiales. En fuyant les lieux d'un didactisme périmé ou idéologique. les fidèles cherchent les repères symboliques et musicaux d'un autre espace. Non que cette quête soit nécessairement un alibi, ainsi que le pensent certains tenants ou nostalgiques d'une Action catholique qui fournissait tout dans le même hôtel, de la prière à la doctrine, de la pédagogie à la politique. Les fugueurs de ces liturgies « exotiques » (à Taizé ou dans un cloître voisin) reviennent à leur travail et à leurs engagements, comme on revient d'espaces maritimes ou de la lecture d'un poème, habités d'un autre air qui peut avoir des effets dans les pratiques, mais d'une manière dont chacun doit prendre la responsabilité. Les croyants inventorient ainsi les chemins détournés qui mènent du « poème » à l'action, sans faire du premier une science de la praxis ni de la seconde une loi du sens.
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Écrit par
- Michel de CERTEAU : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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Pour citer cet article
Michel de CERTEAU, « CATHOLICISME - La crise postconciliaire », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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