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LINNÉ CARL VON (1707-1778)

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Carl von Linné - crédits : Stefano Bianchetti/ Corbis/ Getty Images

Carl von Linné

Fondateur de l'histoire naturelle moderne, Linné n'est pas le premier en date des naturalistes. Il y avait des anatomistes avant Vésale, des chimistes avant Lavoisier. Néanmoins, dans la perspective de l'histoire des sciences, Vésale, Linné et Lavoisier apparaissent comme des initiateurs dans les disciplines où ils se sont illustrés.

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Selon Condillac, une science est une langue bien faite. Si la formule est vraie, l'histoire naturelle ne commence à exister comme science qu'à partir du moment où Linné la dote d'une langue positive, rigoureuse et universelle, de même que Lavoisier, inspiré par Condillac, crée la langue de la chimie. La science de Linné est loin d'être parfaite, mais elle est perfectible. Désormais les naturalistes savent ce que parler veut dire. Leur activité se déploie dans un univers du discours cohérent ; une place pour chaque chose et chaque chose à sa place, telle est la norme du nouvel espace épistémologique où se regroupent les éléments d'un savoir constitué en raison.

L'histoire naturelle avant Linné est un domaine confus où s'accumulent les éléments disparates, réels ou légendaires, que la critique ne se soucie guère de départager. Le naturaliste est un compilateur, dont la curiosité encyclopédique entasse pêle-mêle les données de l'observation et celles de l'érudition philologique. Albert le Grand au xiiie siècle, K. von Gesner et U. Aldrovandi au xvie siècle sont partagés entre le respect de l'autorité incarnée par Aristote, Théophraste ou Pline, et le sens de la documentation, de l'information objective. Il leur arrive de classer leurs matériaux, faute d'apercevoir un meilleur ordonnancement, par ordre alphabétique. La révolution galiléenne introduit un ordre nouveau dans le monde matériel, soustrait à la juridiction de la physique aristotélicienne. L'ordre biologique résiste plus longtemps à l'exigence de la nouvelle raison, du fait de sa plus grande complexité, et aussi parce que le génie d'Aristote en ce domaine intervient comme un obstacle épistémologique difficilement surmontable. La zoologie, la botanique demeurent en état de sous-équipement conceptuel, en dépit des efforts méritoires de l'Anglais John Ray (1627-1705) et du Français Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708), entre autres. Déjà s'esquissent des tentatives de classifications systématiques ; le problème de la méthode est clairement posé. L'œuvre de Linné n'est pas une création originale, mais la réussite qui vient couronner une série d'essais antérieurs.

Le mérite du savant suédois n'en demeure pas moins entier : grâce à lui, le seuil épistémologique de la science positive est franchi une fois pour toutes. L'histoire naturelle peut devenir, au xviiie siècle, une aventure de l'esprit et une passion de l'âme.

La systématique

Fils d'un pasteur de campagne, né à Råshult (Suède), Linné manifeste dès l'enfance un intérêt exclusif pour les plantes et l'observation des réalités naturelles. Après des études dans les universités suédoises et sur le terrain, il acquiert en Hollande le grade de docteur en médecine et publie, en 1735, la première édition du Systema Naturae. Bientôt célèbre, professeur à l'université d'Upsal en 1741, il poursuit dès lors une carrière jalonnée de savants ouvrages ; sa gloire européenne lui vaut dans son pays un titre de noblesse. Il meurt, après des années obscurcies par la maladie, la même année que Voltaire et Rousseau.

Linné est d'abord un botaniste, et c'est à partir de ce domaine d'élection qu'il opère sa réformation de l'histoire naturelle. Le problème est posé par l'enrichissement des connaissances depuis que les savants de la Renaissance ont entrepris d'inventorier la richesse indéfinie du monde des plantes. À partir du xvie siècle, les catalogues ne cessent de s'allonger, accablant les spécialistes sous la masse des informations. Pour que la raison reprenne ses droits, il faut découvrir un principe d'ordre, soumettant la variété des faits à une règle unitaire, elle-même fondée dans la nature des choses.

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Reprenant sur ce point les idées de Ray et de Tournefort, Linné affirme : « La méthode, âme de la science, désigne à première vue n'importe quel corps de la nature, de telle sorte que ce corps énonce le nom qui lui est propre, et que ce nom rappelle toutes les connaissances qui ont pu être acquises, au cours du temps, sur le corps ainsi nommé ; si bien que, dans l'extrême confusion apparente des choses, se découvre l'ordre souverain de la Nature » (Systema Naturae, éd. 1766-1767).

La méthode correspond à la conversion de la réalité en un monde intelligible, schématisé selon les exigences de l'esprit scientifique. Le regard du savant opère une mutation du concret à l'abstrait. « La description, écrit Linné, est l'ensemble des caractères naturels de la plante ; elle en fait connaître toutes les parties extérieures ; elle doit comprendre pour chaque organe le nombre, la forme, la proportion et la position ; être faite dans l'ordre de succession des organes ; être divisée en autant de paragraphes séparés qu'il y a de parties distinctes, et n'être ni trop longue, ni trop succincte » (Philosophia botanica, 1751).

Avant Linné, les plus clairvoyants des botanistes avaient posé le problème de la détermination des espèces végétales sans pouvoir le résoudre. Devant la multiplicité des apparences, ils n'étaient pas parvenus à fixer des points exclusifs de ressemblance et de dissemblance susceptibles de permettre l'ordonnancement du domaine végétal dans son ensemble. Ray pensait qu'il fallait s'en tenir aux caractères des fleurs et des fruits ; Tournefort estimait qu'on devait y ajouter des caractères relatifs aux diverses parties de la plante. Ainsi les premières tentatives de systématisation ne permettaient pas de surmonter la diversité empirique.

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Soucieux d'imposer dans la représentation de l'univers végétal un modèle descriptif opératoire, à la fois rationnel et universel, qui puisse s'appliquer aussi bien dans la géographie administrative ou dans l'art militaire, Linné, après des inventaires considérables, conclut que « la disposition des végétaux la plus recommandable doit être tirée du nombre, de la figure, de la proportion et de la situation de toutes les parties différentes de la fructification » (Philosophia botanica). Étamines et pistil fourniront le fil conducteur de la classification. Une rigoureuse économie de la pensée doit permettre, au sein des classes et des ordres, de désigner les espèces de chaque genre par un seul caractère distinctif, ce qui fonde une classification binaire. Les critères sexuels seront remplacés par d'autres dans le domaine de la zoologie, où ils ne fournissent pas une intelligibilité suffisante.

La première édition du Systema Naturae paraît en Hollande en 1735. Œuvre d'un homme de vingt-huit ans, elle se présente comme une brochure d'une dizaine de pages in-folio : deux pages pour les minéraux, trois pour les plantes, deux pour les animaux. De réédition en réédition, le document initial ne cessera de s'enrichir, jusqu'à devenir un ouvrage considérable, la bible des naturalistes. Le système linnéen des déterminations (classes, ordres, genres, espèces) et des dénominations s'est imposé dans tous les domaines intéressant les naturalistes, en dépit des résistances, dont celle de Buffon. L'histoire naturelle a désormais son code. Linné l'a dotée de termes nouveaux, si bien entrés dans les mœurs que l'on n'imagine pas qu'ils ont seulement deux siècles d'existence : flore, faune, mammifère, primate...

Le génie de Linné se situe dans le positivisme du regard qu'il porte sur la création ; il est le don de percevoir les êtres dans leur spécificité, mais aussi dans leurs rapports réciproques. Par la vertu du regard, la classification, fondée sur le choix de repères artificiels, semble rejoindre un ordre naturel. La systématique apparaît ainsi comme une phénoménologie et une morphologie. Nommer un être, c'est le mettre en place dans l'ensemble des êtres. La taxinomie n'est pas une mnémotechnique, mais une véritable science.

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Strasbourg

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