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BIOLOGISME

Le renouveau du biologisme

En France, l’image publique des sciences de la vie connaît un renouveau important à la suite de l’attribution en 1965 du prix Nobel de physiologie ou médecine aux généticiens André Lwoff, Jacques Monod et François Jacob. La biologie attire de nouveau la curiosité du monde intellectuel et du grand public. C’est sur ce terreau à la fois scientifique et culturel que se déploient de nouvelles formes de biologisme. Grands succès de librairie de l’année 1970, Le Hasard et la Nécessité de Jacques Monod et La Logique du vivant de François Jacob réintroduisent dans l’espace public des versions vulgarisées du darwinisme, tout en esquissant des applications de celui-ci en direction du monde des idées et de la culture. Selon Jacob, il est possible « de voir dans la transformation d’une culture à travers les générations une sorte de second système génétique superposé à l’hérédité ». Et si la sélection naturelle a cédé le premier rôle à la culture dans l’évolution des sociétés, « bien des traits de la nature humaine doivent s’insérer dans un cadre fixé par les vingt-trois paires de chromosomes qui constituent le patrimoine héréditaire de l’homme ».

Mais cette faveur publique ne se limite pas à la génétique. L’éthologie suscite également beaucoup d’intérêt, tel qu’en témoigne l’accueil très favorable aux traductions des essais de Desmond Morris et de Konrad Lorenz. Cette vogue s’inscrit dans les débats intellectuels du moment, dominés alors par le structuralisme, le marxisme et la psychanalyse. Plusieurs penseurs issus des sciences biomédicales, porteurs de discours concurrents de ces grandes approches, acquièrent une certaine visibilité sur la scène intellectuelle. Pour l’un d’entre eux, Henri Laborit, l’« inné persiste qui est donné dans nos acides désoxyribonucléiques humains, et la transformation du milieu ne changera pas les mécanismes de fonctionnement des pulsions instinctives qui jusqu’ici ont organisé les rapports socioculturels pour satisfaire les dominances et les hiérarchies comme dans toutes les espèces animales » (La Nouvelle Grille, 1974).

Sans nécessairement tous donner dans le même type de réductionnisme, ces nouveaux « savants » entendent remettre à l’honneur les notions de « nature humaine » et d’inné, afin de compléter, corriger voire, pour certains d’entre eux, s’opposer aux conceptions mettant l’accent sur les dimensions socialement et historiquement construites des comportements.

Il est important de noter que ce renouveau du biologisme se passe alors essentiellement au sein d’une gauche soucieuse de se démarquer du marxisme tout en restant matérialiste. Un autre type de biologisme fait son apparition au milieu des années 1970, lié à l’émergence d’une nouvelle « discipline » importée des États-Unis, la sociobiologie. La sociobiologie, telle que formulée par l’entomologiste américain Edward O. Wilson, se présente comme une tentative de synthèse de divers mouvements théoriques : « écologie culturelle » mettant en exergue le caractère « adaptatif » des traits culturels et des systèmes sociaux ; « socio-écologie animale » d’inspiration lorenzienne, entendant prouver l’importance du rôle joué par la sélection naturelle dans les fondements de la culture humaine ; génétique des populations mettant en relation le comportement altruiste d’un individu et l’accroissement du succès reproducteur de ses proches parents ; zoologie des insectes sociaux, etc. Approche réductionniste pour laquelle le social est tenu « en laisse » par le biologique, elle fait l’objet en France d’une appropriation idéologique intense par la mouvance de la Nouvelle Droite, qui se sert d’elle pour justifier son idéologie anti-égalitaire. Son radicalisme fera l’objet de critiques très vives de la part de nombreux intellectuels,[...]

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Écrit par

  • : docteur en sciences sociales, maître de conférences en sociologie à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
  • : chercheuse associée au Centre d'histoire du XIXe siècle, enseignante à Sciences Po Paris

Classification

Pour citer cet article

Sébastien LEMERLE et Carole REYNAUD-PALIGOT. BIOLOGISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SOCIOBIOLOGIE

    • Écrit par Gabriel GACHELIN
    • 1 805 mots
    ...sociobiologique initiale de Wilson a perdu sa valeur d’outil intellectuel global telle qu’avancée par son auteur avec le concept de nouvelle synthèse. Au plan historique, la sociobiologie apparaît comme l’un des nombreux épisodes qui scandent les tentatives répétées de la biologie, depuis la seconde...

Voir aussi