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BHAGAVAD GĪTĀ

Thèmes spéculatifs et religieux

De nombreux thèmes d'origines diverses s'entrecroisent dans la Gītā. Si l'on y rencontre des passages d'inspiration upaniṣadique qui semblent conserver la prééminence à l'Absolu impersonnel des époques anciennes – celui que le Vedānta reprendra à son compte – en revanche, Kṛṣṇa, en se dévoilant très rapidement comme un avatāra de Viṣṇu, introduit la perspective des cultes de dévotion à l'Absolu personnel. Néanmoins, celui-ci dans sa transcendance même demeure immanent à sa création, selon la pure tradition vedāntine.

Par ailleurs, la Bhagavad Gītā reflète des théories relevant des traditions du sāṃkhya et du yoga, souvent présentés comme les aspects complémentaires d'une même quête du salut, c'est-à-dire de la libération hors du saṃsāra, la ronde indéfinie des renaissances.

Le sāṃkhya, tel qu'il s'exprime ici, est différent de celui que codifieront les kārikā, texte de base du sāṃkhya en tant qu'ensemble de croyances systématisées (darśana) ; il s'agit dans la Gītā de notions beaucoup plus souples où se marque cependant l'opposition d'un principe naturel unique (prakṛti) formé de trois constituants (guṇa) à une multitude de monades spirituelles (puruṣa).

Quant au yoga, son nom revient souvent dans le texte, pris au moins dans deux acceptions différentes : il a parfois son sens technique – qui est celui du yogadarṣ́ana – et représente alors l'ensemble des pratiques psychosomatiques destinées à la concentration des pouvoirs humains tant physiques que mentaux ; très souvent, en revanche, il revêt le sens courant bien plus large de discipline. C'est cette dernière signification qu'il possède dans l'énumération des trois voies du salut : karmayoga, discipline des actes – soit actes rituels, proches du sens védique, soit devoir de caste –, jñānayoga, discipline de la connaissance, telle que la proposaient les Upaniṣad, bhaktiyoga, enfin, discipline de la dévotion, spécifique des milieux sectaires, et particulièrement des groupes qui consacrent leurs adorations à Viṣṇu et à ses incarnations (avatāra) successives produites pour le rétablissement de l'ordre du monde (dharma).

Le devoir de caste

Mais l'enseignement vraiment original de la Gītā réside en d'autres notions, en rapport d'ailleurs avec celle de bhakti : l'exaltation du devoir individuel (svadharma) et du détachement du fruit des actes.

Lorsque le texte parle de « devoir individuel », il faut l'entendre dans le sens différent de celui auquel nous sommes accoutumés : il s'agit en réalité du devoir de caste. Dans la perspective brahmanique, l'individu n'existe que dans son appartenance à un contexte social et religieux donné. Le dernier chant de la Gītā est explicite à ce sujet : « Quant aux brāhmanes, aux guerriers, aux hommes de la troisième et de la quatrième caste, leurs actes sont toujours en accord avec les qualités inhérentes à leur nature propre » (XVIII, 41). Ces devoirs, le texte les énumère : aux brāhmanes, la modération, la foi et l'étude des Écritures ; aux guerriers, la vaillance dans le combat ; aux gens de la troisième caste (vaiśya), les soins de la terre et le négoce ; ceux de la quatrième caste (śūdra) ont pour unique devoir le service des autres.

Les règles qui les concernent sont contraignantes : « Mieux vaut son propre devoir médiocrement exécuté que la juste observation du devoir d'autrui » (XVIII, 47).

La Bhagavad Gītā proclame donc la primauté, dans l'ordre moral et religieux, de cet accord existant entre un être quelconque – car le svadharma s'étend bien au-delà du domaine humain – et sa condition naturelle. C'est pourquoi Kṛṣṇa, rappelant à Arjuna sa qualité de guerrier, lui enjoint d'abandonner tout scrupule[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études honoraire à l'École pratique des hautes études (Ve section)

Classification

Pour citer cet article

Anne-Marie ESNOUL. BHAGAVAD GĪTĀ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BHAKTI

    • Écrit par Anne-Marie ESNOUL
    • 1 431 mots

    Dérivé de la racine bhaj, partager, bhakti désigne en Inde la sorte de dévotion qui fait participer le fidèle à la personne et à l'essence de la divinité qu'il adore.

    Une amitié caractérise, dans cette atmosphère, les rapports du dieu et de ses dévots. Les cultes populaires ont dû,...

  • INDE (Arts et culture) - Les doctrines philosophiques et religieuses

    • Écrit par Jean FILLIOZAT
    • 16 660 mots
    • 3 médias
    Le Mahābhārata contient en particulier le texte le plus fameux de la littérature philosophique indienne, la Bhagavadgītā. Il ne s'agit pas d'un texte technique de démonstration et de discussion philosophiques, mais d'un exposé fondamental à l'usage d'un large public éclairé. Bien que ce texte paraisse...
  • KARMAN

    • Écrit par Madeleine BIARDEAU
    • 1 786 mots
    ...sociale ainsi que la poursuite de fins égoïstes, a été singulièrement fécondée par l'irruption, sous une autre forme, de la réflexion des renonçants : la Bhagavadgītā, livre de chevet de l'hindou pieux, est le texte fondamental où s'exprime ce troisième courant, et il n'est pas exagéré de dire que son...
  • KRISHNA ou KṚṢṆA

    • Écrit par Marie-Simone RENOU
    • 2 454 mots
    ...de clan rusé, doué d'un savoir-faire purement humain, assurant le triomphe de ses cousins par des moyens assez déloyaux et sans grandeur. Mais, dans la Bhagavad Gītā, « Chant du Bienheureux », qui s'intègre dans l'épopée, il devient le cocher d' Arjuna, le plus célèbre des Pāṇḍava,...
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Voir aussi