RENOIR AUGUSTE (1841-1919)

« Il y a eu, par un après-midi de printemps, sur la pelouse d'un champ de course, ce doux ciel clair, cet attelage arrêté, cette jeune femme heureuse. Il y a eu ces garçons et ces filles autour de la table desservie dans une lumière radieuse, et la Marne à travers les saules, et l'aile blanche entrevue d'une barque, et tous ces jeunes corps transpirant et qui s'attirent : combinaisons fugitives d'air, de lumière, de créatures vivantes, indéfiniment défaites et recomposées depuis trois quarts de siècle, et des millions d'autres se reforment indéfiniment, mais que la plupart des artistes d'aujourd'hui ne cherchent plus à capter. »

<em>Portrait de Jeanne Samary</em>, A. Renoir - crédits : Sergio Anelli/ Electa/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

Portrait de Jeanne Samary, A. Renoir

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Parmi tous les peintres impressionnistes auxquels Mauriac rendait ainsi hommage lors d'une exposition en 1955, Renoir a su exprimer le mieux, parce que ce fut son unique sujet, ce bonheur de l'instant. Son nom seul évoque l'idée d'un paradis. Aucun tourment, ici ; simplement, sous un constant soleil, la joie d'exister. Il connut cependant lui aussi le découragement, traversa de nombreuses crises morales, et vécut ses vingt dernières années sous la souffrance physique, provoquée par les rhumatismes et la paralysie. Il trouvait alors son réconfort dans le travail, et peignit la vie triomphante chaque jour, jusqu'au dernier.

Les débuts

Auguste Renoir est né à Limoges, sixième et avant-dernier enfant de Léonard Renoir, tailleur, et de Marguerite Merlet, couturière ; son grand-père paternel, François Renoir, était sabotier : milieu d'artisans modestes, possédant cette intelligence de la main qui va bien au-delà du métier, et incite au goût des belles choses. En 1844, la famille s'était installée à Paris, non loin du Louvre d'abord, puis dans le quartier du Marais. Après l'école, à treize ans, Renoir qui aimait le dessin fut mis en apprentissage chez un peintre sur porcelaine. Quatre années plus tard, l'impression mécanique remplaçant peu à peu le travail manuel, il dut gagner sa vie en décorant des éventails, puis des stores. Ayant amassé quelque argent, il put bientôt se consacrer à la peinture, devenue sa passion, et allait copier au Louvre, où ses parents l'avaient souvent mené. Il avait été attiré tout de suite par Rubens, et par les peintres français du xviiie siècle. « À Watteau et Boucher j'ajoutai Fragonard, surtout les portraits de femmes. Ces bourgeoises de Fragonard !... Distinguées sans cesser d'être bonnes filles. » En mars 1862, il se présentait et était admis à l'école des Beaux-Arts, et s'inscrivait en octobre de la même année à l'académie Gleyre, où il rencontra Claude Monet, Alfred Sisley, Frédéric Bazille. Ce dernier admirait beaucoup Courbet, et aussi Édouard Manet qui l'avait reçu dans son atelier. « Tu comprends, lui dit Bazille, Manet est aussi important pour nous que Cimabue et Giotto pour les Italiens du Quattrocento. Parce que c'est la Renaissance qui est en train de venir. Et il faut que nous en soyons. » À l'exemple de ces peintres, il était nécessaire de s'affranchir des sujets d'autrefois : « Les grandes compositions classiques, c'est fini. Le spectacle de la vie quotidienne est plus passionnant. »

Pierre-Auguste Renoir, F. Bazille - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Pierre-Auguste Renoir, F. Bazille

Renoir, désormais, est pris dans le mouvement. Au début de l'année suivante, en 1863, il accompagne Sisley, Monet et Bazille à Chailly-en-Bière, en bordure de la forêt de Fontainebleau ; il y rencontre Narcisse Diaz, qui lui recommande d'éclaircir sa palette. Il quitte en 1864 l'école des Beaux-Arts, fait recevoir par le jury du Salon une Esmeralda dansant (détruite ensuite) et exécute ses premières commandes, le Portrait de Mlle Lacau (Cleveland Museum of Art), qui révèle son sens de la grâce féminine, et celui de William Sisley (musée du Jeu de paume, Paris), le père de son ami peintre, tableau qui sera accepté au Salon de 1865. Ses parents étant retirés à Ville-d'Avray, il est accueilli par Sisley d'abord, puis, après le mariage de celui-ci, par Bazille. Tous ont pris maintenant l'habitude de se rendre à la campagne dès les premiers beaux jours, à Chailly de nouveau, puis à Marlotte, où les rejoint Pissarro et où Renoir fait la connaissance de Gustave Courbet ; à Bougival, Chatou, Argenteuil – sur les bords de la Seine. Renoir a peint ses amis à Marlotte, en 1866, dans le Cabaret de la mère Anthony (Nationalmuseum, Stockholm), sa première composition importante. En 1867, il peint une Diane chasseresse (National Gallery of Art, Washington), prétexte à un nu dans la nature vigoureusement traité à la manière de Courbet, et Lise à l'ombrelle (Folkwang Museum, Essen), grande figure dans une lumière de plein air tamisée par les feuilles des arbres, qui fait suite aux Déjeuner sur l'herbe de Manet et de Monet. Aux aspirations nouvelles (réalisme et goût de la nature de Courbet, sujets empruntés à la vie moderne de Manet, éclaircissement de la palette conseillé par Diaz) s'ajoute en effet l'intérêt de plus en plus vif pour toutes les variations de la lumière. Travaillant ensemble durant l'été 1869 à « La Grenouillère », dans l'île de Croissy près de Bougival, Claude Monet et Renoir tentent de rendre dans leur peinture le miroitement du fleuve, tous les reflets du soleil multipliés par le frémissement de l'eau. Monet transpose en touche de couleur chaque éclat lumineux, divisant hardiment et franchement les tons pour préserver leur vigueur : « capter la lumière, et la jeter sur la toile », tel est son projet. Renoir, plus sensible à la présence humaine et à celle des objets, attentif à l'ensemble, demeure plus nuancé. Chacun suit sa propre voie : « Ce que je ferai aura au moins le mérite de ne ressembler à personne, parce que ce sera simplement l'impression de ce que j'aurai ressenti, moi tout seul », écrivait Monet quelques mois auparavant, alors qu'il travaillait au Havre. Renoir, très attiré encore par Courbet, comme en témoignent La Nymphe à la source (1869 ; National Gallery, Londres) et La Baigneuse au griffon (1870 ; musée d'Art moderne, São Paulo, Brésil), analyse longuement aussi Delacroix, s'en inspire et lui rend hommage dans L'Odalisque, ou Femme d'Alger (National Gallery of Art, Washington) exposée au Salon en mai 1870. En juillet, c'est la guerre. Bazille y trouvera la mort. Renoir, appelé à Tarbes puis à Libourne, est démobilisé en mars 1871. En janvier 1872, le marchand Paul Durand-Ruel, qu'il a rencontré par l'intermédiaire de Monet et de Pissarro, lui achète quelques tableaux ; il travaille en été à Argenteuil, avec Claude Monet et Gustave Caillebotte, et entreprend en octobre les Cavaliers au bois de Boulogne (Kunsthalle, Hambourg), vaste composition terminée au printemps 1873. Soutenu matériellement par Durand-Ruel et par Théodore Duret, il peut alors s'installer dans un appartement de la rue Saint-Georges, à Montmartre. Il a trente-deux ans. Son tableau de La Loge (Courtauld Institute, Londres) – admirable image de la fête du soir au théâtre, la femme vêtue d'une robe somptueuse, l'homme en habit – confirme à la fois son admiration pour les maîtres du passé et sa propre virtuosité. Il le présente lors de la première exposition des «   impressionnistes » chez Nadar : ce noir qui fait jouer tout l'ensemble de la toile, et dont il dira un jour qu'il est « la reine des couleurs », est alors une note remarquable d'indépendance.

Paul Durand-Ruel, A. Renoir - crédits : Archives Durand-Ruel/ Durand-Ruel & Cie

Paul Durand-Ruel, A. Renoir

La Loge, A. Renoir - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

La Loge, A. Renoir

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<em>Portrait de Jeanne Samary</em>, A. Renoir - crédits : Sergio Anelli/ Electa/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

Portrait de Jeanne Samary, A. Renoir

Pierre-Auguste Renoir, F. Bazille - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

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Paul Durand-Ruel, A. Renoir

Autres références

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