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ARISTOPHANE (445-380 av. J.-C.)

La lutte contre l'esprit nouveau

Si la première partie des Guêpes est une charge contre les conséquences de la politique démagogique de Cléon, la seconde montre le vieux Philocléon se dévergondant et menant joyeuse vie : il s'enivre, enlève une joueuse de flûte, s'attire quantité d'ennuis ; il finit par se livrer à une danse grotesque, en défiant les danseurs à la mode. Aristophane, dans ces scènes qui peuvent sembler tout à fait étrangères au début de la pièce, attaque un autre aspect du mal actuel, la dépravation des mœurs qui accompagne la dégradation politique et la corruption dans l'art, qui va de pair avec celle de la morale. Les innovations révolutionnaires en poésie et en musique et les idées nouvelles en philosophie sont, à ses yeux, responsables de la décadence d'Athènes au même titre que les innovations politiques des démagogues.

Dans sa première comédie, Les Banqueteurs, il avait critiqué les sophistes ; dans une scène des Acharniens il avait ridiculisé Euripide dont il avait ailleurs parodié mainte tragédie, par exemple au début de La Paix, où l'escarbot géant rappelle une machinerie utilisée dans Bellérophon. Les comédies conservées où s'exprime le mieux cette attitude d'Aristophane en face du modernisme sont Les Nuées (423), Les Thesmophories (411) et Les Grenouilles (405).

« Les Nuées »

Au moment du concours de 423, une trêve venait d'être conclue entre Athéniens et Lacédémoniens : laissant l'action politique, Aristophane compose une pièce plus abstraite, plus subtile, où il ne recourt pas aux moyens grossiers pour provoquer le rire de la foule. Cette comédie, qu'il considérait comme la meilleure qu'il eût écrite, ne toucha pas le public et n'obtint que le dernier rang. Le sujet en est simple : un campagnard, Strepsiade, a épousé une jeune fille d'une grande famille de la ville ; elle lui a donné un fils, Phidippide (dont le nom signifie « qui traite bien les chevaux ») qui tient de sa mère le goût du luxe et de la dépense. Si bien que Strepsiade a dû contracter dette sur dette, se trouve ruiné et ne peut plus rembourser ses créanciers.

Ayant appris que Socrate tient une école où il enseigne l'art de faire triompher le raisonnement faible sur le raisonnement fort, il veut apprendre de lui le moyen de se débarrasser de ses créanciers sans les payer. Mais comme il ne montre aucune aptitude à comprendre ce qu'on lui enseigne, il fait prendre les leçons par son fils, qui en profite si bien qu'il en arrive à frapper son père en lui prouvant qu'il a raison de le battre. Furieux de l'effet produit par l'enseignement de Socrate, Strepsiade met le feu à son école.

Le moment essentiel de la comédie, l' agôn, met aux prises le raisonnement fort et le raisonnement faible : cette discussion d'une haute tenue entre deux abstractions personnifiées était sans doute trop sérieuse pour le public. Il ne trouva pas une compensation suffisante dans le chœur des Nuées symbolisant par leurs formes les pensées ondoyantes de Socrate, qui planent sur les hauteurs, vides et inconsistantes, ni dans le spectacle du « pensoir » de Socrate, où le maître, suspendu dans une corbeille, raisonne sur les choses célestes et mesure combien de fois une puce saute la longueur de ses pattes.

On a beaucoup reproché à Aristophane d'avoir ainsi ridiculisé, en le faisant passer pour un sophiste, un philosophe respectueux de la morale, des lois de la cité et de la religion traditionnelle. Mais Socrate, par ses manières originales, plus connu de ses concitoyens que les sophistes professionnels, tous venus de l'étranger, entouré d'une troupe de petits jeunes gens aux manières libres et provocantes, était une victime toute désignée à la verve des poètes comiques, et il fut pris à partie aussi par Cratinos, Eupolis et Diphilos[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à la Faculté des lettres et sciences humaines de Lille

Classification

Pour citer cet article

Jean DEFRADAS. ARISTOPHANE (445-380 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Aristophane – Athènes - crédits : Bettmann/ Getty Images

Aristophane – Athènes

Autres références

  • LE BANQUET, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 992 mots
    • 1 média
    ...pente, Pausanias, l'amant d'Agathon, distingue deux Éros : le Céleste et le Vulgaire. Eryximaque, en médecin, le définit comme attraction universelle. Aristophane, l'auteur de comédies, propose un récit des origines : l'androgyne, ayant défié les dieux, a été puni et divisé, donnant naissance à l'homme...
  • COMÉDIE

    • Écrit par Robert ABIRACHED
    • 5 412 mots
    • 1 média
    Dans une première phase, qui va environ de 450 à la fin du ve siècle, la « comédie ancienne » est illustrée surtout par Aristophane ; fantaisiste jusqu'au mépris de toute vraisemblance, mariant la bouffonnerie et la poésie, elle n'en mord pas moins directement sur le réel : elle met...
  • DÉSIR (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 094 mots
    Quant au discours d’Aristophane, il s’articule autour du mythe de l’androgyne. Selon Aristophane, l’amour serait un désir inconscient remontant à l’origine des temps et nous poussant à reconstituer l’unité primordiale qui fut brisée par les dieux. Des êtres de forme sphérique, les androgynes,...
  • EURIPIDE (env. 480-406 av. J.-C.)

    • Écrit par Édouard DELEBECQUE
    • 4 634 mots
    • 2 médias
    ...contemporain, donc privé des services rendus par le recul du temps, un jugement définitif. Juste après la mort d'Euripide, dans sa comédie des Grenouilles, Aristophane, l'inventeur et le maître du genre des « à la manière de », qu'il manie avec une aisance merveilleuse par son aptitude à discerner les traits...
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Voir aussi