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CORELLI ARCANGELO (1653-1713)

Arcangelo Corelli - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Arcangelo Corelli

La période qui s'étend approximativement de 1680 à 1710 a été déterminante dans l'histoire des formes musicales. Au cours de ces quelque trente ans, la sonate préclassique a pris sa forme la plus achevée, le concerto grosso est né, préparant les voies à la symphonie. Cette évolution est essentiellement l'œuvre d'une génération de violonistes italiens dont Arcangelo Corelli est le chef de file et le guide incontesté, comme technicien et virtuose du violon, comme pédagogue, comme compositeur.

Un maître de l'école italienne

La biographie de Corelli est simple si on la débarrasse d'un certain nombre d'anecdotes dont la plupart sont controuvées (parmi les plus tenaces : celle de son éducation musicale auprès du « vieux » Giovanni Battista Bassani, qui était en réalité son cadet de cinq à six ans ; celle d'un séjour à Paris, d'où il aurait été chassé par la jalousie de Lully, alors qu'à l'époque où l'on situe ce voyage il avait tout juste dix-neuf ans, aucune œuvre derrière lui, pas la moindre réputation hors de son pays, rien qui pût inquiéter Lully au faîte de sa gloire). Né en 1653, il se montra précocement doué ; il eut à dix-sept ans l'honneur d'être admis à faire partie de la célèbre Accademia Filarmonica de Bologne. On pense qu'il gagna Rome l'année suivante pour n'en bouger à peu près plus ; il s'y rendit rapidement célèbre et y mourut en 1713, comblé d'honneurs, admiré de l'Europe entière.

L'émancipation de la mélodie

Son art du violon était fondé sur une conception qui devait être celle de toute la grande école italienne et de ses dérivées, les écoles franco-belge, anglaise et allemande, conception selon laquelle le violon était l'équivalent ou le pendant instrumental de la voix humaine. On lui attribue cette observation : « Non udite lo parlare ! » (« Vous ne l'entendez pas parler ! ») qui anticipe sur le « per ben suonare, bisogno ben cantare » (« pour bien jouer il est nécessaire de bien chanter ») de Giuseppe Tartini. Corelli vivait à une époque de tâtonnements, d'innovations, où la tendance à la virtuosité acrobatique devenait envahissante : ce type de virtuosité triomphe quand la musique est au plus bas. L'exploration du registre aigu du violon, entreprise de longue date par Marco Uccellini et par des maîtres austro-allemands tels que Heinrich Ignaz Franz Biber et Johann Jacob Walther, risquait de laisser libre carrière au pire charlatanisme. C'est contre ce danger que Corelli réagit, participant, sans doute à son insu, au grand mouvement qui était en train de se faire jour dans des domaines plus vastes que les siens, mouvement qu'animait Reinhard Keiser dans l'opéra, et qui, propagé par Telemann et Johann Mattheson, visait à abolir la suprématie du contrepoint d'école sur la mélodie en prenant pour mot d'ordre : « Quelque morceau qu'on écrive, vocal ou instrumental, tout doit être cantabile » (Mattheson). Cet effort d'émancipation de la belle ligne mélodique est au premier plan des préoccupations de Corelli. Dans la pratique, il s'ensuit que ses œuvres se tiennent de préférence dans le registre moyen du violon (elles vont rarement plus haut que la troisième position), et que son art de l'archet cherche l'ampleur et la netteté plutôt que l'extrême vélocité. Il l'a lui-même codifié dans La Follia, une série de vingt-trois variations, surtout d'archet, qui termine son œuvre de loin la plus connue, la fameuse Opera Quinta, de 1700, laquelle devait avoir plus de trente rééditions au xviiie siècle. Cela ne l'empêchait pas – et il y trouvait la source d'heureux contrastes – de pratiquer aussi l'écriture contrapuntique, d'un contrepoint aéré, dont il use avec prédilection dans un ou deux mouvements de chacune de ses sonates d'église, et où se marque l'influence de ses contemporains allemands ; mais cette influence est beaucoup moins profonde que celle des maîtres qui l'ont formé, le Bolonais Giovanni Benvenuti et le Vénitien Leonardo Brugnoli, représentants particulièrement qualifiés des deux meilleures écoles italiennes préclassiques.

Un compositeur sobre et patient

Comme compositeur, Corelli avait un métier des plus solides. Il avait étudié harmonie et contrepoint avec un professeur réputé, Pietro Simonelli, et l'on voit le sévère Rameau, dans sa Dissertation sur les différentes méthodes d'accompagnement pour le clavecin ou pour l'orgue (1732), citer en exemple un des adagios de Corelli et lui consacrer l'unique planche hors texte de son traité.

Il travaillait longuement, patiemment, avec un sérieux assez peu courant chez les virtuoses-compositeurs de l'époque. Alors que la plupart d'entre eux se dispersaient dans tous les genres, écrivant, souvent dans le même langage musical, des opéras, des messes, des motets, de la musique instrumentale, le tout à profusion – il en est bien peu qui n'aient à leur actif des centaines d'œuvres – Corelli n'a abordé que la composition instrumentale, et toute sa production tient en six recueils, dont les quatre premiers contiennent chacun douze sonates en trio, pour deux violons et basse, le cinquième, douze sonates pour violon seul et basse, le sixième, douze concerti grossi. La publication de ce dernier recueil est posthume, mais on sait de source certaine que la composition de la plupart de ces concertos est antérieure à 1690 : trois ans avant cette date, il avait dirigé lui-même l'exécution de certains d'entre eux, avec, sous ses ordres, cent cinquante musiciens, lors des fêtes données à Rome par l'ex-reine Christine de Suède en l'honneur du pape Innocent XI.

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Dans toutes ces œuvres, il observe la distinction entre la musique d'église (sonates et concertos da chiesa) et la musique profane (sonates et concertos da camera). Ainsi, on peut regrouper, pour l'église, les premier et troisième recueils de trios, la moitié des op. 5 et 6, pour la « chambre », les deuxième et quatrième livres de trios, l'autre moitié des op. 5 et 6. Dans le premier groupe, le style contrapuntique régit les allegros initiaux, généralement en forme de fugues libres ; dans le second groupe, les danses plus ou moins stylisées l'emportent. Certaines d'entre elles, telle la fameuse gavotte de l'op. 5 que Tartini a prise pour thème de son Arte dell'arco (L'Art de l'archet), sont, dans les éditions imprimées, d'une brièveté et d'une sécheresse surprenantes : cela tient à ce que l'exécutant devait les broder pour mettre en évidence ses capacités d'improvisateur. L'obligation était encore plus impérative en ce qui concernait les mouvements lents, pour lesquels nous avons un précieux témoignage, celui de Corelli lui-même. L'op. 5 a en effet été publié peu après son édition originale (romaine), par des éditeurs d'Amsterdam, Pierre Mortier et Estienne Roger, avec cette mention : « Nouvelle édition où l'on joint les agrémens des Adagio de cet ouvrage, composez par Mr. A. Corelli, comme il les joue. » On a longtemps tenu cette édition pour une supercherie, imaginée et mise en circulation après la mort du compositeur ; mais la preuve est faite qu'elle date, au plus tard, de 1711, et qu'elle a été publiée avec l'assentiment de Corelli. C'est là quelque chose d'important : la physionomie de toute l'œuvre s'en trouve modifiée. À la noblesse parfois un peu guindée, à la nudité de certains contours mélodiques se substituent des lignes plus capricieuses, plus proches aussi du bel canto vocal.

Douceur et autorité

On doit aussi renoncer à l'idée traditionnelle d'un Corelli uniformément suave, à l'image en quelque sorte de son prénom Arcangelo. Doux et paisible à son ordinaire, il pouvait réagir violemment à certaines injustices, à des attaques qu'il jugeait mal fondées, comme dans la querelle qui l'opposa au théoricien Matteo Zani à propos d'une suite litigieuse de quintes (troisième sonate de l'op. 2). Le ton de Corelli dans cette polémique, dont les textes subsistent, est roide, impatient, presque méprisant. Par parenthèse, on peut dire qu'en tant que virtuose il n'était pas, non plus, uniformément calme et serein. En note d'une traduction anglaise du Parallèle des Italiens et des François en ce qui regarde la Musique et les Opera de l'abbé Raguenet, publiée à Londres quatre ans avant la mort de Corelli, un commentateur anonyme, à coup sûr un musicien, déclare : « Je n'ai jamais rencontré un homme emporté par sa passion au point où l'était Corelli tandis qu'il jouait du violon. Ses yeux, par moments, devenaient d'un rouge feu, il se déhanchait, ses prunelles roulaient comme à l'agonie. »

Comme chef d'orchestre, il devait avoir une singulière autorité. Au dire de son disciple Francesco Geminiani, rapportant une conversation qu'il avait eue avec Alessandro Scarlatti, ce dernier, qui n'avait pour Corelli compositeur qu'une admiration plutôt tiède, avait été impressionné par « son habile conduite d'orchestre, dont la rare précision donnait aux concertos un effet aussi surprenant pour l'œil que pour l'oreille » ; car, continuait Geminiani, « Corelli jugeait indispensable à l'ensemble que tous les archets eussent même discipline et fussent tous à la fois tirés ou poussés dans le même sens. Si bien qu'aux répétitions qui précédaient régulièrement chaque exécution en public de ses concertos il arrêtait immanquablement l'orchestre à la vue d'un archet dissident ».

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