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KIEFER ANSELM (1945- )

Indices, emblèmes

En 1973, Resurrexit (Stedelijk Van Abbemuseum, Eindhoven) superpose les deux perspectives de la forêt germanique et de l'atelier en bois. Le serpent et l'inscription latine comportent une signification chrétienne qui s'adresse, comme dans un emblème de la Renaissance, à la situation isolée de l'artiste alors installé dans les combles d'une école à Hornach, dans l'Odenwald. L'architecture en bois, en raison de ses résonances idéologiques, définit le lieu d'une mise en scène de la mémoire qui englobe l'histoire nationale comme avait pu le faire le monument de pierre du Walhalla, construit par Leo von Klenze de 1830 à 1842. Mais il s'agit ici d'un grenier où des flammes cérémonielles ponctuent l'inscription manuscrite de treize noms de « héros », en majorité annexés ou récupérés par le régime hitlérien.

Sous le titre ambivalent Les Héros spirituels de l'Allemagne (1973, Broad Art Foundation, Los Angeles), Kiefer semble défier toute interprétation univoque susceptible de réunir Joseph Beuys ou Robert Musil, Adalbert Stifter ou Richard Wagner. L'artiste contredit avec une forme d'humour qui lui est propre les généalogies causales développées après guerre, par exemple dans Docteur Faustus (1947) de Thomas Mann. Dans une autre version, il met en cause le mythe de l'artiste rédempteur en clouant sur un de ses greniers une peau de lapin qui peut faire penser à une performance célèbre de Beuys, dont il suivit l'enseignement en 1970 à Düsseldorf. Kiefer ne croit pas à l'activisme social de celui qui l'a initié à une spéculation sur le rôle du matériau dans l'art et la pensée. Pour lui, l'art se soustrait à toute fonction messianique collective, mais, dans ce mouvement, renvoie d'autant plus fortement à la personnalité individuelle. Le mythe wagnérien sur lequel l'artiste revient à plusieurs reprises, en 1973 avec Notung (galerie Michael Werner, Cologne) et Der Nibelungen Leid (galerie du Goethe-Institut, Amsterdam), en 1975 avec Siegfried oublie Brunhilde (De Groot, Groningen), lui permet de sonder la responsabilité de l'artiste et de l'art dans la formation de l'idéologie héroïque du sang pur. La peinture confronte le rêve et l'illusion à une réalité vide ou dévastée. Le paysage d'hiver, âprement dépouillé de son romantisme, est vu à travers le symbole d'une palette de peintre pour évoquer les opérations militaires des deux guerres mondiales (Opération « Mouvement de Hagen », 1975, collection particulière, Opération « Barberousse », collection particulière).

La Shoah, dont le souvenir sera notamment transmis par les films d'Alain Resnais (Nuit et brouillard, 1955) et de Claude Lanzmann (Shoah, 1985) émerge de ce creuset avec le livre de 1977, Le Difficile Chemin de Siegfried à Brunhilde (Edwin Cohen, New York), où Kiefer utilise la photographie et le tableau de 1991, où il recourt au plomb dans un cadre vitré. À de nombreuses reprises, il emploie ce matériau dont il s'approprie les valeurs symboliques, historiques et physiques en empruntant des plaques provenant du toit de la cathédrale de Cologne.

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Écrit par

  • : professeur émérite d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Éric DARRAGON. KIEFER ANSELM (1945- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DE L'ALLEMAGNE (exposition)

    • Écrit par Lionel RICHARD
    • 1 122 mots
    • 1 média
    Le directeur du Louvre, Henri Loyrette, a demandé à l’artiste allemand Anselm Kiefer une œuvre appelée à figurer au seuil de cette exposition. Pourquoi Kiefer ? En 2008, il a reçu, avec Christian Boltanski, le prix Charles de Gaulle-Konrad Adenauer, destiné à récompenser des personnalités ayant contribué...

Voir aussi