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MUSSET ALFRED DE (1810-1857)

Un classique du théâtre

Dans l'œuvre de Musset, le théâtre occupe une place au moins égale à celle de la poésie. Sa première comédie, Les Marrons du feu, date de 1830 et la dernière, Bettine, de 1851. Mais, pendant de longues années, il se contenta de faire imprimer ses pièces, une tentative malheureuse (l'unique représentation de La Nuit vénitienne, le 1er décembre 1830) l'ayant découragé d'affronter à nouveau le public et la critique. De là, l'idée d'Un spectacle dans un fauteuil (1832), c'est-à-dire d'un théâtre conçu pour être lu et qui n'a donc pas à tenir compte des conventions de la scène. C'est ce qui explique que, même lorsque Musset fut reconnu pour un auteur dramatique assuré du succès, après l'accueil triomphal fait, en 1847, à la représentation d'Un caprice, ses œuvres maîtresses aient continué à rebuter les entrepreneurs de spectacles : On ne badine pas avec l'amour ne fut présenté à la scène qu'en 1861, quatre ans après la mort du poète, et Lorenzaccio en 1896 ; encore avait-on jugé nécessaire de leur faire subir de graves mutilations. Ces tribulations donnent une idée de ce que Musset apportait de neuf et d'audacieux à un théâtre qui, depuis Victor Hugo, passait pour s'être affranchi de la tradition.

Les comédies et les proverbes – À quoi rêvent les jeunes filles (1832), Le Chandelier (1835), Un caprice (1837), On ne saurait penser à tout (1849), pour n'en citer que quelques-uns – n'ont plus, depuis lors, quitté le répertoire de la Comédie-Française. On ne manque jamais d'évoquer à leurs propos Marivaux et le marivaudage. C'est, il est vrai, du xviiie siècle que procède ce dialogue scintillant, rapide et nerveux. Théâtre de salon, un public averti peut encore y goûter un divertissement de choix, dont le succès n'a pas faibli.

Ces pièces donnent moins la mesure du génie dramatique de Musset que les trois chefs-d'œuvre qu'il a publiés coup sur coup dans la force de sa jeunesse, de mai 1833 à août 1834 : Les Caprices de Marianne, On ne badine pas avec l'amour, Lorenzaccio. On trouve encore dans les deux premiers la technique et le ton de la comédie ; c'est toujours le même dialogue, ce sont les mêmes personnages, légers ou burlesques, c'est la même gaieté et le même esprit. Toutefois, dans la trame délicate de la comédie, le drame s'est insinué ; on le sent monter lentement, à pas feutrés, pour éclater soudain dans la catastrophe finale, la mort des innocents. Dans le cadre d'une action scénique, Musset déploie les grands thèmes de sa poésie lyrique : l'amour, la souffrance et la mort.

La comédie ne tient plus qu'une place accessoire dans Lorenzaccio. De toute évidence, Musset a voulu se mesurer à Shakespeare et, avec plus d'un siècle de recul, on peut dire qu'il ne s'est pas montré indigne de son maître. Lorenzaccio, chef-d'œuvre incontesté du drame romantique, est aussi, sans doute, le seul et unique drame authentique du théâtre français. Il rappelle le Shakespeare des tragédies, Hamlet et Jules César, par l'ampleur du dessein, l'audace des ambitions ; par la technique aussi, le foisonnement des tableaux et des scènes, les brusques changements de lieu et le ton, la multitude des personnages, la présence, réelle ou suggérée, de la foule, d'un peuple tout entier. C'est également un drame historique, et même politique, qui met à nu les ressorts d'une révolution manquée, ou plutôt escamotée, comme l'avait été, en France, la révolution de Juillet. Mais ce qui appartient en propre à Musset, c'est la figure complexe et pathétique de son héros, Lorenzo de Médicis, dit Lorenzaccio, nouveau symbole de l'éternel conflit du pur et de l'impur. De tous les personnages que Musset a créés[...]

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Écrit par

  • : inspecteur général honoraire de l'Instruction publique, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Jean THOMAS. MUSSET ALFRED DE (1810-1857) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>On ne badine pas avec l'amour</em> d'A. de Musset, mise en scène de René Clair - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

On ne badine pas avec l'amour d'A. de Musset, mise en scène de René Clair

Alfred de Musset - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Alfred de Musset

George Sand - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

George Sand

Autres références

  • LA CONFESSION D'UN ENFANT DU SIÈCLE, Alfred de Musset - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 918 mots
    • 1 média

    C'est en février 1836, au lendemain de sa rupture avec George Sand, qu'Alfred de Musset (1810-1857) publie La Confession d'un enfant du siècle chez Félix Bonnaire. Écrit principalement à la première personne mais mettant en scène des personnages fictifs, ce roman autobiographique...

  • LORENZACCIO, Alfred de Musset - Fiche de lecture

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 1 113 mots
    • 1 média

    Qui ne connaît Lorenzaccio ? Qui n'en a une représentation, ne serait-ce qu'à travers l'image de Gérard Philipe ? Pourtant, ce « classique » du romantisme français aura été pendant près de deux tiers de siècle ignoré puis, pendant un demi-siècle encore, massacré. ...

  • ON NE BADINE PAS AVEC L'AMOUR (A. de Musset) - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 470 mots

    En 1834, après Les Caprices de Marianne paru l'année précédente, Alfred de Musset (1810-1857), âgé de vingt-quatre ans, publie On ne badine pas avec l'amour, suivi, la même année, de Fantasio et de Lorenzaccio.

    Cette « comédie en trois actes » et en prose s'inscrit dans une série...

  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...brisent à l'envi la vieille superstition de l'unité de l'homme. Ils aspirent comme Novalis à la volupté de la souffrance. L'un des plus lucides parmi eux, Musset, crie son besoin de douleur ct même de bassesse. « Moi si jeune enviant ta blessure et tes maux », écrivait-il à Ulric Guttinguer, dont la vie amoureuse...
  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par Anne UBERSFELD
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    Alfred de Musset tenta en 1830 de faire jouer une petite comédie piquante mais peu scénique, La Nuit vénitienne. Furieux de son échec, il jura de n'écrire que pour une scène idéale, un drame, André del Sarto, et une série de comédies proches du drame dans la mesure où une écriture inspirée...
  • PROVERBE DRAMATIQUE

    • Écrit par Hélène LACAS
    • 868 mots

    Plutôt qu'un genre littéraire, le proverbe est, à l'origine, un divertissement de salon dont la naissance a été favorisée par la brillante vie mondaine de la fin du règne de Louis XIII. C'est « une scène en plusieurs scènes qu'on écrivait ou que souvent on improvisait entre soi sur un...

  • THÉÂTRE OCCIDENTAL - La théâtralité

    • Écrit par Henri GOUHIER
    • 4 010 mots
    • 1 média
    L'idée d'un théâtre injouable est donc contradictoire. Bien significatif est ce Spectacle dans un fauteuil auquel Alfred de Musset invitait ses lecteurs (1834). D'abord, la paradoxale formule faisait appel à leur imagination de spectateur possible en leur demandant de doubler la lecture d'un jeu imaginaire...

Voir aussi