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MUSSET ALFRED DE (1810-1857)

Le Poète déchu

George Sand - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

George Sand

Musset n'avait pas trente ans qu'il portait déjà les marques d'un épuisement physique et moral. On en a donné pour cause l'abus précoce du vin et des femmes ; il faut, de toute évidence, y voir encore l'effet d'une névrose, dont George Sand, dans Elle et Lui (1859) – récit de leurs amours légendaires –, décrit dans le détail les symptômes. Un peu avant d'entrer dans sa trentième année, Musset ébauche un roman, vite abandonné, dont il ne demeure que de courts fragments, et un titre, Le Poète déchu. Tout porte à croire que c'est à lui-même qu'il pensait et que, sous des noms et des faits imaginaires, l'histoire de cette déchéance aurait été la sienne. Ses troubles nerveux n'étaient pas la seule cause de sa souffrance ; le déclin de sa jeunesse, qui le dépouillait, à ses propres yeux, de son prestige, le tarissement de son inspiration, le lent éloignement du public, qui, à mesure que sa production se faisait plus rare, commençait à oublier son nom, cette expérience douloureuse pour un homme qui avait été jusque-là comblé excédait ses forces. Le fait est que, si l'on réduisait le recueil de ses œuvres à celles publiées avant les vingt-huit ans de l'auteur, on aurait peu à sacrifier, et l'image que ses lecteurs se feraient de lui n'en serait pas altérée.

Il restait à Musset dix-sept ans à vivre. Il n'a jamais manqué d'amis ni de femmes ; bien qu'il ait eu des soucis d'argent, il a pu soutenir jusqu'au bout sa réputation d'homme élégant. Les honneurs ne lui ont pas non plus fait défaut : la Légion d'honneur, l'Académie, les égards que lui témoignait la cour impériale. Il y a loin de cette fin de vie d'un poète à celle d'un Nerval ou d'un Baudelaire. Cependant, à distance, la brièveté de sa carrière littéraire ne l'a peut-être pas desservi. L'oubli qui a entouré son âge mûr n'a laissé que le souvenir de sa jeunesse. Le mythe qui s'est formé plus tard autour de son nom unissait les prestiges de cette jeunesse à ceux de l'amour et de la souffrance. Un Musset chargé d'ans et de gloire, comme Victor Hugo, ne se concevrait pas.

Musset devait subir encore, longtemps après sa mort, une autre déchéance, la plus cruelle de toutes. Notre époque a ratifié à son égard le jugement implacable de Baudelaire. Le lecteur moderne lui fait payer cher sa facilité, sa complaisance aveugle pour les vertus du don, de l'inspiration et du génie, son ignorance du métier, son refus de l'« exercice quotidien ». Prolixité, emphase, déclamation, c'est bien ce qui choque aujourd'hui, jusque dans ceux de ses poèmes les plus admirés. Après un départ remarquable, La Nuit de mai s'étire dans le verbiage de la Muse et l'interminable allégorie du pélican. Dans ses autres poèmes, on peut certes cueillir beaucoup de beaux vers et quelques mouvements pleins de charme, mais épars, çà et là, comme les épaves d'un naufrage. Seule, La Nuit de décembre reste intacte, dans sa mystérieuse pureté.

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Écrit par

  • : inspecteur général honoraire de l'Instruction publique, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Jean THOMAS. MUSSET ALFRED DE (1810-1857) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>On ne badine pas avec l'amour</em> d'A. de Musset, mise en scène de René Clair - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

On ne badine pas avec l'amour d'A. de Musset, mise en scène de René Clair

Alfred de Musset - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Alfred de Musset

George Sand - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

George Sand

Autres références

  • LA CONFESSION D'UN ENFANT DU SIÈCLE, Alfred de Musset - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 918 mots
    • 1 média

    C'est en février 1836, au lendemain de sa rupture avec George Sand, qu'Alfred de Musset (1810-1857) publie La Confession d'un enfant du siècle chez Félix Bonnaire. Écrit principalement à la première personne mais mettant en scène des personnages fictifs, ce roman autobiographique...

  • LORENZACCIO, Alfred de Musset - Fiche de lecture

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 1 113 mots
    • 1 média

    Qui ne connaît Lorenzaccio ? Qui n'en a une représentation, ne serait-ce qu'à travers l'image de Gérard Philipe ? Pourtant, ce « classique » du romantisme français aura été pendant près de deux tiers de siècle ignoré puis, pendant un demi-siècle encore, massacré. ...

  • ON NE BADINE PAS AVEC L'AMOUR (A. de Musset) - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 470 mots

    En 1834, après Les Caprices de Marianne paru l'année précédente, Alfred de Musset (1810-1857), âgé de vingt-quatre ans, publie On ne badine pas avec l'amour, suivi, la même année, de Fantasio et de Lorenzaccio.

    Cette « comédie en trois actes » et en prose s'inscrit dans une série...

  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...brisent à l'envi la vieille superstition de l'unité de l'homme. Ils aspirent comme Novalis à la volupté de la souffrance. L'un des plus lucides parmi eux, Musset, crie son besoin de douleur ct même de bassesse. « Moi si jeune enviant ta blessure et tes maux », écrivait-il à Ulric Guttinguer, dont la vie amoureuse...
  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par Anne UBERSFELD
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    Alfred de Musset tenta en 1830 de faire jouer une petite comédie piquante mais peu scénique, La Nuit vénitienne. Furieux de son échec, il jura de n'écrire que pour une scène idéale, un drame, André del Sarto, et une série de comédies proches du drame dans la mesure où une écriture inspirée...
  • PROVERBE DRAMATIQUE

    • Écrit par Hélène LACAS
    • 868 mots

    Plutôt qu'un genre littéraire, le proverbe est, à l'origine, un divertissement de salon dont la naissance a été favorisée par la brillante vie mondaine de la fin du règne de Louis XIII. C'est « une scène en plusieurs scènes qu'on écrivait ou que souvent on improvisait entre soi sur un...

  • THÉÂTRE OCCIDENTAL - La théâtralité

    • Écrit par Henri GOUHIER
    • 4 010 mots
    • 1 média
    L'idée d'un théâtre injouable est donc contradictoire. Bien significatif est ce Spectacle dans un fauteuil auquel Alfred de Musset invitait ses lecteurs (1834). D'abord, la paradoxale formule faisait appel à leur imagination de spectateur possible en leur demandant de doubler la lecture d'un jeu imaginaire...

Voir aussi