KOYRÉ ALEXANDRE (1892-1964)
La révolution scientifique : du monde clos à l'univers infini
Koyré a décrit cette révolution scientifique comme une pièce en cinq actes.
C'est d'abord Nicolas Copernic qui met le Soleil au centre de l'Univers et exile la Terre dans sa banlieue planétaire, unifiant ainsi la physique céleste et la physique terrestre dont la séparation était au principe du cosmos aristotélicien qui opposait le mouvement circulaire éternel et parfait des astres à la génération et à la corruption sur une Terre immobile au centre de l'Univers. Mais ce premier acte obligeait à concevoir une nouvelle physique qui expliquât comment la Terre pouvait résister à son propre mouvement.
C'est ensuite Johannes Kepler qui renforce cette obligation en montrant que les orbites planétaires ne sont pas des cercles, ce qui suffisait à expliquer le mouvement des planètes (une sphère en mouvement décrit un cercle de par sa forme même), mais des ellipses (donc des mouvements qui ne sont plus de même nature que leur forme). Il pousse le platonisme jusqu'à chercher dans les cinq solides réguliers platoniciens (au nombre de faces identiques et dont Platon a montré qu'il ne pouvait y en avoir que cinq : le tétraèdre, le cube, l'octaèdre, le dodécaèdre et l'icosaèdre) la raison des rapports entre les distances au Soleil des cinq planètes alors connues, chacune enchâssée dans l'un de ces polyèdres, et leurs périodes de révolution autour de lui.
C'est Galilée qui formule la première loi mathématique de la nouvelle physique, la loi de la chute des corps proportionnelle au carré des temps, et qui conçoit les principes de cette physique comme des principes de conservation, en l'occurrence celle de la quantité de mouvement (produit de la masse par la vitesse).
C'est René Descartes qui identifie l'espace géométrique et la matière, fondant ainsi la physique mathématique (seules comptent les formes géométriques des corps), et qui conçoit le principe d'inertie, c'est-à-dire la conservation du mouvement.
C'est enfin Isaac Newton qui formule les lois du mouvement. Ce sont les mêmes pour les mouvements des planètes dans le ciel et pour la chute des corps sur Terre. Mais cette unification des lois de la physique n'a été possible qu'au prix d'une synthèse entre platonisme et atomisme où la matière se compose de corpuscules à forme géométrique qui se meuvent dans le vide.
Cette synthèse a eu pour effet, selon Koyré, de cliver la pensée classique, de dissocier la physique de la métaphysique et de la théologie : un univers infini dans l'espace et le temps, régi par des lois éternelles, s'appropriait les attributs ontologiques du Dieu créateur, mais se désenchantait en se dépouillant des autres, les valeurs et le sens : se mouvoir dans le ciel n'avait pas plus de valeur que sur Terre et l'existence du monde restait sans raison. Le monde dans lequel nous pensons, un monde de la précision, n'était plus le monde dans lequel nous vivons, un monde de l'à-peu-près. Depuis trois siècles, la philosophie comme la physique n'ont eu de cesse de redonner un sens au monde, de ravauder son unité, d'articuler ses différents aspects.
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Écrit par
- Gérard JORLAND : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris
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