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AHIṂSĀ

Le mot sanskrit ahiṃsā, qui désigne, dans les religions de l'Inde, la non-violence (ou la non-nuisance) et même l'absence de toute intention de nuire, est composé du préfixe privatif a et de HIṂS, forme désidérative abrégée de la racine HAN (« frapper », « blesser », « tuer »).

Ce terme est ancien ; il apparaît dans l'une des plus anciennes Upaniṣad — la Chāndogya upaniṣad (III, 17, 4), qui date du vie siècle avant J.-C. —, ainsi que dans les Nirukta de Yāska (entre le vie et le ive s.), mais ce sont le bouddhisme et le jaïnisme — systèmes réformateurs à peu près contemporains de la Chāndogya — qui ont mis l'accent sur cette attitude spirituelle et morale.

Dans le contexte brahmanique, l'ahiṃsā figure en première place dans la liste des quatre prescriptions contraignantes des Yogasūtra (iie s. apr. J.-C. ?), ainsi que dans bien d'autres ouvrages traditionnels, devant le non-vol, la pureté et le non-mensonge. Elle entraîne le végétarisme et aussi l'abstention de sacrifices sanglants ; elle a, de ce fait, contribué à la disparition du rituel sacrificiel tel qu'il était pratiqué à la période védique.

Sur le plan naturel, la violence est une loi générale, liée à la lutte pour l'existence ; la pensée indienne lui oppose une doctrine qui prend sa source dans une vision cosmique et spiritualiste du monde : au-dessus de cette compétition vitale règne une Énergie universelle et conciliatrice. En pratiquant l'ahiṃsā, l'homme dépasse sa condition humaine pour se fondre dans le Soi universel. Le grand philosophe Śaṇkara (viiie-ixe s.), parlant de l'Énergie suprême, souligne qu'elle agit de l'intérieur et donc de façon non violente.

La compassion à l'égard de tous les êtres explique l'importance prise par la non-violence dans les milieux bouddhiques, mais ce sont les jaïn qui en ont fait l'application la plus stricte. Soucieux d'éviter toute atteinte à la vie, même sous ses formes les plus élémentaires, les moines jaïn en sont venus à des précautions extrêmement minutieuses : filtrer l'eau, se couvrir la bouche d'un linge pour ne pas risquer d'absorber quelque insecte, balayer soigneusement la place où l'on va s'asseoir pour ne point écraser le moindre être vivant, etc.

À l'époque contemporaine, Gandhi a donné une nouvelle impulsion aux doctrines de l'ahiṃsā ; il en a fait une des pièces maîtresses de sa position spirituelle et politique. Le jeûne lui-même, moyen de pression sur l'adversaire, ne peut être assimilé à une méthode de violence, puisque c'est sur soi qu'opère le jeûneur, s'offrant en quelque sorte en sacrifice.

— Anne-Marie ESNOUL

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Écrit par

  • : directeur d'études honoraire à l'École pratique des hautes études (Ve section)

Classification

Pour citer cet article

Anne-Marie ESNOUL. AHIṂSĀ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BHAKTI

    • Écrit par Anne-Marie ESNOUL
    • 1 431 mots

    Dérivé de la racine bhaj, partager, bhakti désigne en Inde la sorte de dévotion qui fait participer le fidèle à la personne et à l'essence de la divinité qu'il adore.

    Une amitié caractérise, dans cette atmosphère, les rapports du dieu et de ses dévots. Les cultes populaires ont dû,...

  • GANDHI MOHANDAS KARAMCHAND (1869-1948)

    • Écrit par René HABACHI, Joël KERMAREC
    • 3 084 mots
    • 6 médias
    ...durcissent la vérité naturelle en y interposant leur violence, la satyāgraha n'opposera pas à la violence une autre violence. Précisément l' ahiṃsā (a = privatif, hiṃsā nuisance) est le refus de nuire, et à la limite la compassion. Seule la non-violence sera apte à la récupération...
  • HINDOUISME

    • Écrit par Anne-Marie ESNOUL
    • 9 148 mots
    • 4 médias
    Une des croyances qui ont contribué à rendre caduc le sacrifice védique est le développement de la notion d'ahiṃsā, traduite souvent par « non-violence », mais dont le sens est plus radical encore. Ce terme est tiré du désidératif de la racine HAN, frapper, tuer ; il implique donc jusqu'au...
  • INDE (Arts et culture) - Les sciences

    • Écrit par Francis ZIMMERMANN
    • 14 198 mots
    • 2 médias
    ...obstétrique par exemple, la césarienne et l'embryotomie sur un fœtus mort ; en chirurgie plastique, la réfection du nez par greffe, etc. Mais le triomphe de l'idéologie végétarienne et non violente a fait disparaître toute pratique chirurgicale chez les médecins de haute caste à une époque encore mal définie....
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Voir aussi