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KARDINER ABRAM (1891-1981)

Il est difficile de classer Kardiner, mais cette difficulté même permet de le situer – et comme un des pères fondateurs – dans le groupe des savants qui ont placé leurs travaux sous le titre de Culture et personnalité. Un titre qui affiche le programme de ce qu'on appelle l' anthropologie culturelle : « anthropologie », parce qu'il s'agit d'étudier l'homme ; « culturelle », parce qu'on choisit de l'étudier dans sa relation à la culture d'une société. Ainsi l'objet d'étude n'est jamais qu'accessoirement l' individu, qui, dans les Case Studies, n'est tenu que pour échantillon. Il est plutôt la culture elle-même, en tant qu'elle est vécue et qu'elle imprime sa marque sur l'individu qui la vit et qui, du même coup, peut lui imprimer des changements. L'homme devient alors un moyen d'approcher la culture et, s'il est vrai que l'étude de la culture comme ensemble des institutions se joint à l'étude de la société, on pourrait dire que l'anthropologie culturelle est à sa manière une sociologie psychologique ou psychologisante, complémentaire d'une sociologie sociologisante, qui se voue à n'expliquer le social que par le social.

De la psychanalyse à la théorie de la culture

La carrière de Kardiner illustre bien la pluridisciplinarité requise par l'anthropologie culturelle. Né à New York, il s'oriente d'abord vers la psychiatrie et la psychanalyse : en 1921, il va séjourner à Vienne auprès de Freud. Près de soixante ans plus tard, à la veille de sa mort, il fait, avec beaucoup de verve et d'humour, le récit de son « analyse avec Freud » : un document précieux pour les portraits qu'il donne d'un Freud at home et à l'apogée de sa gloire, et d'un jeune Américain capable d'admirer sans se laisser fasciner ou aliéner, dont on sent qu'il saura faire de ce qu'il apprend un libre usage.

Kardiner, en fait, recourt à Freud en gardant l'optique d'une théorie de l' adaptation et de la socialisation, en restant soucieux de la relation de l'individu avec son milieu. Par exemple, la névrose pour lui n'est pas seulement un accident dans le développement de l'affectivité, un événement dans le roman familial ; elle peut être un accident dans l'histoire de l'activité et des relations avec le monde extérieur : ainsi en est-il des « névroses traumatiques » causées par les guerres que Kardiner étudie dans War Stress and Neurotic Illness. C'est pourquoi il est nécessaire de considérer, autant que l'ego affectif, l'ego effectif, donc, autant que l'instinct et le drive, le comportement observable, et de faire appel à des notions nouvelles, comme celles de systèmes d'action et de systèmes cognitifs, qui peuvent être des systèmes de sécurité. Parmi ceux-ci, il faut encore distinguer des systèmes de réalité, qui sont « rationnels », et des systèmes projectifs, tels que les systèmes de superego, qui sont des assurances que l'individu prend contre l'anxiété. Ces notions joueront un rôle essentiel dans l'anthropologie culturelle à laquelle Kardiner va bientôt se vouer.

Après être revenu à New York, où il travaille d'abord dans une clinique, puis s'oriente vers l'enseignement (à Cornell et Columbia), il ouvre, en effet, en 1922, à l'Institut de psychanalyse, un séminaire consacré à l'analyse des sociétés « primitives ». À ce séminaire, qu'il dirigera jusqu'en 1944, participent des ethnologues qui ont travaillé sur le terrain, tels Ruth Benedict, Cora du Bois, Ralph Linton, et par l'intermédiaire desquels il se trouve branché sur des cultures étrangères. Dans le cadre d'une problématique commune, on y étudie chaque culture en prêtant attention à sa différence,[...]

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Classification

Pour citer cet article

Mikel DUFRENNE. KARDINER ABRAM (1891-1981) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER, Christian GHASARIAN
    • 16 158 mots
    • 1 média
    ...individus et leurs comportements. Leur école dite « Culture et personnalité » et représentée notamment par Ruth Benedict, Margaret Mead, Ralph Linton, Abram Kardiner, soulignait l'influence de la culture sur la formation de la personnalité. Quand R. Benedict parle de « pattern de culture », M. Mead...
  • CULTURALISME

    • Écrit par Marc ABELES
    • 2 568 mots
    ...la variété ontologique de l'objet et l'exigence méthodologique d'unité et de synthèse conceptuelle. Une telle visée caractérise la collaboration entre Abram Kardiner et Ralph Linton. Le premier, psychiatre de formation, s'appliqua, surtout à partir de 1937, à forger une théorie des rapports entre institution...
  • DUFRENNE MIKEL (1910-1995)

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 974 mots

    Philosophe de renom international, Mikel Dufrenne, décédé à Paris le 10 juin 1995, s'est affirmé, au fil d'une carrière universitaire particulièrement brillante, comme l'un des maîtres les plus prestigieux de l'esthétique française. Né le 9 février 1910 à Clermont (Oise), élève d'Alain au lycée Henri-IV,...

  • INDIVIDU & SOCIÉTÉ

    • Écrit par André AKOUN
    • 4 496 mots
    Il existe cependant deux façons d'envisager les fonctions de la famille. On peut, à la suite de Kardiner, de Linton et dans la perspective ouverte par l'école américaine d' anthropologie culturelle, ne voir dans la famille que le lieu d'un apprentissage qui permet à l'enfant d'acquérir le système d'attitudes...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi