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SALARIAT

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Vers la société salariale

Au tournant du siècle, l'émergence progressive de la production de masse a fait voler en éclats ce modèle concurrentiel. Aux États-Unis et en Allemagne, les grandes unités industrielles rationalisent la production : Taylor puis Ford comprennent que, pour produire moins cher, c'est la grande série qui est la clé, bien plus que la compression des salaires. Les gains de productivité permettent d'augmenter l'offre. Encore faut-il que la demande suive. Or ce n'est pas toujours le cas : le mode de fixation des salaires ne s'adapte qu'imparfaitement à cette nouvelle donne industrielle, et les gains de productivité se transforment plus en profits qu'en salaires, ce qui ne permet pas d'alimenter une demande de masse à la hauteur de la production de masse. Taylor, pourtant, avait préconisé, dès la fin du xixe siècle, des formes de rémunération incitatrices – salaire au rendement complété par des primes croissant rapidement avec les gains de productivité – qui, si elles avaient été appliquées, auraient sans doute permis de faire évoluer la demande au rythme des changements affectant l'offre. Mais, si les « méthodes Taylor » rencontrèrent un grand succès en ce qui concerne l'organisation de la production, les préconisations salariales qui allaient de pair furent délaissées. De même, lorsque, en 1917, Henry Ford inventa le convoyeur (la « chaîne »), qui permit de fantastiques gains de productivité, il l'accompagna d'une politique salariale aboutissant à un doublement des salaires ouvriers. Mais, faute d'être imité par les autres employeurs, il dut s'aligner sur la norme commune lors de la crise des années 1930.

Usine Ford - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Usine Ford

États-Unis : la prospérité, 1920-1929 - crédits : The Image Bank

États-Unis : la prospérité, 1920-1929

Cet écart, entre un potentiel d'offre largement croissant et une demande bornée par le rythme d'augmentation des salaires, est devenu une source de déséquilibre d'autant plus considérable que, après la Première Guerre mondiale, le salariat est désormais largement majoritaire dans la population active : en France – qui n'est pas le pays le plus avancé dans ce domaine, il s'en faut de beaucoup, en raison du poids de son agriculture –, les employés et les ouvriers représentent à eux seuls 48 p. 100 de la population active en 1926. Les conventions collectives ont beau prévoir des formes généralisées d'augmentations pour une branche, ou pour une entreprise, les règles en vigueur continuent à faire la part trop belle aux mécanismes concurrentiels, et, à l'échelle globale, l'évolution des salaires et celle de la productivité ne coïncident que par l'effet du hasard.

Certes, durant ce demi-siècle (1890-1940), le droit du travail a fait des pas de géant : limitation de la durée du travail, règles de licenciement, instauration d'une protection sociale dans certaines branches (mines, fonction publique, métallurgie, banques...) et d'un droit à la retraite, etc. Mais les mécanismes de fixation des salaires, au lieu d'être déterminés en fonction de leur incidence collective, continuent d'être du ressort exclusif des entreprises (ou des branches, lorsqu'il existe une convention collective de branche). En d'autres termes, alors que le salaire devient l'une des composantes essentielles de la demande globale, il continue à être considéré par chaque entreprise exclusivement comme un coût qu'il convient de réduire autant que possible.

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  • : conseiller de la rédaction du journal Alternatives économiques

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Denis CLERC. SALARIAT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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États-Unis : la prospérité, 1920-1929 - crédits : The Image Bank

États-Unis : la prospérité, 1920-1929

Autres références

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