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RHÉTORIQUE

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Racines antiques : rhètôr, l'orateur

En grec, la rhétorique – rhétorikè, sous-entendu technè – est l'art de celui qui parle (rhètôr). La tradition veut que la rhétorique soit née en Sicile, alors colonie grecque, au début du ve siècle avant J.-C., lorsque la chute des tyrans d'Agrigente et de Syracuse fut suivie de contestations de propriétés plaidées par les intéressés eux-mêmes devant des jurys populaires. À cette occasion, certains plaideurs surent recourir à des procédés qui leur assurèrent la victoire ; les premiers, Corax et Tisias, eurent l'idée de les noter, de les systématiser et de les enseigner moyennant salaire, inventant simultanément, dans le contexte d'une institution judiciaire démocratique, une discipline, la rhétorique, et un métier, celui de sophiste, qu'illustreront Gorgias, Protagoras et tant de « maîtres d'excellence » itinérants. On peut penser pourtant que, dès les lois de Dracon interdisant au viie siècle la vendetta et transférant à l'État l'arbitrage des conflits entre clans, et en tout cas avec les constitutions de Solon puis de Clisthène instaurant au vie siècle à Athènes des institutions politiques démocratiques avec de larges assemblées, sont réunies les conditions d'un débat public libre et contradictoire, où le pouvoir qu'exerce sur l'auditoire celui qui parle ne relève plus de la magie ni d'une position d'autorité préétablie, mais tient à certaines propriétés intrinsèques dont il sait munir son discours.

Or chez Homère, déjà, c'est par le mot rhètèr qu'est désigné l'un des aspects de l'idéal humain auquel le précepteur d'Achille veut faire accéder son élève : « l'homme de parole et d'action », te rhètêr te prèktêr. Pour saisir la portée de ce mot clé, qui est un nom d'agent, il importe de comprendre à quel verbe d'action il correspond.

En grec, les verbes courants signifiant / dire, parler / reposent sur six racines différentes selon les nuances de sens et les temps. Au présent, on en compte quatre : 1-2. phèmi, dire, avouer, issu de la racine indo-européenne *bha révéler, source du latin fari, qui s'efface devant dicere, issu de *deik montrer, comme dans le grec épideïknumi, démontrer, manifester ; 3. lego, dire, parler, auquel correspondent les noms logos, le discours, et lexis, l'expression, issus de *leg/log cueillir, trier, énumérer... calculer, raisonner, discourir, source du latin loqui ; 4. agoreuo, parler en public, dérivé d'agora, la place publique et les affaires qui s'y traitent, issu de *ger/gor s'assembler. À l'aoriste actif, la forme courante correspondant à ces différents présents est 5. eïpon, je dis, issu de *wekW faire entendre, source du grec épos, chant épique, épopée, et du latin vox, la voix. Enfin, 6. le futur et le parfait actifs eïro, je dirai, eïrèka, j'ai dit, comme l'aoriste passif errhètè, on dit, sont issus de *wer s'engager, donner sa parole, source du latin verbum, mot, parole, verbe et Verbe. Or c'est à cette racine *wer que se rattache rhètor. Ainsi, même s'il prononce des discours, logos, sur la place publique, agora, lors de démonstrations épidictiques, même s'il révèle le bon côté des choses par l'euphémisme et donne voix aux absents par la prosopopée, c'est avec la racine *wer l'action de s'engager, de donner sa parole qui confère au rhètôr son nom d'agent et sa fonction spécifique.

D'ailleurs, dans le discours lui-même (logos), dont la logique règle les enchaînements valides, les analyses de Platon et d' Aristote distinguent trois plans : en toile de fond, ce dont il est question, l'affaire à traiter (pragma) ; à l'avant-scène, la manière dont c'est dit, la tournure de l'expression ([...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en linguistique française à l'université de Provence-Aix-Marseille-I

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Pour citer cet article

Françoise DOUAY-SOUBLIN. RHÉTORIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par
    • 12 228 mots
    ...qu'elle analyse plus particulièrement des comportements – Heidegger, on y reviendra, y voit la possibilité de disjoindre l'affectivité de la subjectivité. Chaque « passion » est en effet décrite, dans le cadre de l'« art rhétorique », qui est par définition social ou intersubjectif, en trois parties : l'indication...
  • AGÔN, théâtre grec

    • Écrit par
    • 158 mots

    Substantif grec correspondant au verbe agô, « mener », qui désigne l'assemblée, puis le concours, en particulier sportif (Agôn personnifié — cf. Pausanias, Description de la Grèce, V, xxvi, 3 — avait sa statue à Olympie, tenant des haltères) et, plus généralement, toutes sortes de...

  • ALEMÁN MATEO (1547-env. 1615)

    • Écrit par
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    Cette médiation de la rhétorique est essentielle ; elle explique la conception générale de l'ouvrage, construit comme une juxtaposition d'éléments indépendants, fait de lourds blocs corsetés dans des structures rigides, qui renferment l'épisode romanesque et découpent en tranches l'histoire du personnage....
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    On définit généralement l'allégorie en la comparant au symbole, dont elle est le développement logique, systématique et détaillé. Ainsi, dans la poésie lyrique, l'image de la rose apparaît souvent comme le symbole de la beauté, de la pureté ou de l'amour ; Guillaume de Lorris en...

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