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SIMENON GEORGES (1903-1989)

Un univers multiforme et foisonnant

Mis bout à bout, ces éléments ne suffisent cependant pas à expliquer la singulière magie du roman simenonien, tant il est vrai, en cette matière, que le tout n'est pas constitué par la somme des parties, mais par leur étroite et savante imbrication. Chaque roman constitue en outre un ensemble où l'art est mis au service de la recherche primordiale de l'homme, un ensemble où la forme ne peut être dissociée de la fiction racontée, Simenon étant avant tout un prodigieux conteur d'histoires. La somme des romans constitue à son tour un autre ensemble : l'univers imaginaire que l'écrivain a livré en s'en délivrant, un univers où, pour la délectation du lecteur, Roger Mamelin (Pedigree) dialogue avec Louis Cuchas (Le Petit Saint), où Frank Friedmaier (La neige était sale) a pour voisin Charles Alavoine (Lettre à mon juge)...

Cet univers de Simenon, c'est celui de la fuite, de la marginalité, du drame, du suicide, du meurtre ; c'est un espace tragique où les humiliés côtoient les offensés ; c'est le domaine du malaise, du vide intérieur, de la solitude, des échappatoires.

L'univers de Simenon, c'est celui des protagonistes qui vont jusqu'au bout d'eux-mêmes, un champ de conflits et d'affrontements, un théâtre d'ombre et de lumière où la chute avoisine parfois la rédemption, un monde où le héros déviant, dépouillé de sa façade sociale artificielle, apprend, parfois au prix de sa vie, que “le métier d'homme est difficile”.

L'univers de Simenon, c'est, nouvelle Anabase, celui de ces dix mille... personnages, enfantés dans la douleur que l'on sait, depuis le plus modeste d'entre eux jusqu'au plus illustre, ce commissaire Maigret, notre prochain, ce policier des âmes qui rêve de “raccommoder les destinées” ; Maigret, avec ses défauts et ses qualités, avec ses habitudes et ses tics, avec son intuition, sa morale de la compréhension, son sens inné de la justice immanente et sa manière d'enquêter qui semble calquée sur la façon d'écrire de son créateur ; ce Maigret auquel l'écrivain a fini par ressembler, au point d'adopter sa devise : “Comprendre et ne pas juger.”

L'univers de Simenon, c'est celui de l'inconscient : inconscient des personnages patiemment exploré par celui en qui Gérard Mendel a vu “le romancier le plus freudien du xxe siècle” ; inconscient aussi d'un créateur qui proclame que tous ses romans sont des fantasmes de son enfance.

L'univers de Simenon, c'est... le monde où le romancier nous entraîne, en un perpétuel mouvement du réel à l'imaginaire, du souvenir à la (re)création, du terreau fécond d'outre-Meuse aux collines du Connecticut, des rues à arcades de La Rochelle aux lagons polynésiens, des bouges de Fécamp à ceux de Panamá, des brumes normandes à l'éclat méditerranéen, de la pluie nivernaise à celle de Buenaventura, du pétillant soleil ligérien à celui, écrasant, de l'Arizona, du Quai des Orfèvres au boulevard des Batignolles, de la quiétude feutrée du Marais à la fièvre des Grands Boulevards... Lieux de la mémoire devenus, par une étrange alchimie, lieux de notre mémoire mentale et livresque.

— Pierre DELIGNY

— Michel LEMOINE

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Écrit par

  • : ancien chef correcteur adjoint de l'Encyclopædia Universalis, correspondant du Centre d'études Simenon de l'université de Liège, Belgique
  • : agrégé de lettres, directeur de publication de la revue Traces (Travaux du centre d'études Georges-Simenon de l'université de Liège)

Classification

Pour citer cet article

Pierre DELIGNY et Michel LEMOINE. SIMENON GEORGES (1903-1989) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Georges Simenon - crédits : Keystone Features/ Getty Images

Georges Simenon

Autres références

  • MONSIEUR GALLET, DÉCÉDÉ, G. Simenon - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 191 mots

    Monsieur Gallet, décédé paraît en 1931, année qui marque une étape décisive dans la vie de Georges Simenon (1903-1989). Celui-ci publie enfin sous son véritable nom, après neuf années passées dans l'ombre à apprendre le métier d'écrivain. De 1922 à 1924, il a fourni aux journaux d'innombrables...

  • LE VOYAGEUR DE LA TOUSSAINT, Georges Simenon - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 942 mots
    • 1 média

    Écrit et publié chez Gallimard en 1941, Le Voyageur de la Toussaint prend place dans une série d'œuvres majeures de Georges Simenon, popularisées pour la plupart par le cinéma : Les Inconnus dans la maison (1940), La Veuve Couderc (1942), La Vérité sur Bébé Donge (1942) ou encore ...

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    L’œuvre pléthorique deGeorges Simenon (1903-1989) incarne ce goût nouveau et lui donne avec le commissaire Maigret, enquêteur peu conventionnel qui se laisse imprégner de l’atmosphère des lieux du crime qu’il doit résoudre, une des figures les plus populaires au cinéma et à la télévision. Simenon...
  • MAIGRET (P. Leconte)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 146 mots

    « C’est lui ! C’est lui ! », se serait exclamé Georges Simenon devant Michel Simon interprétant le rôle du commissaire Maigret dans un court fragment de Brelan d’as (Henri Verneuil, 1952). Ce n’était pas la première fois que l’écrivain réagissait aux incarnations cinématographiques...

  • POLICIER ROMAN

    • Écrit par Claude MESPLÈDE, Jean TULARD
    • 16 394 mots
    • 14 médias
    ...demeure, bien sûr, le commissaire Maigret, policier de la P.J., le pas pesant, la pipe à la bouche, nourri de sandwiches et de bière, tel que l'a imaginé Simenon, et qui fait ses débuts dans Pietr le Letton, en 1931, un an après la mort de Conan Doyle. Point de raisonnement, de déduction savante chez Maigret,...
  • ROMAN - Essai de typologie

    • Écrit par Jean CABRIÈS
    • 5 909 mots
    • 5 médias
    Tel est du moins le statut du roman policier jusqu'aux années 1930, car l'apparition de Georges Simenon va en inverser les données : le policier intelligent n'est plus le détective privé, mais un commissaire divisionnaire qui résume toutes les qualités de la moyenne bourgeoisie : lucidité mais bonté,...

Voir aussi