ÉVANGÉLISME ET ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES

Marché musical, O.N.G., megachurches

L’évangélisme, dont le succès s’appuie sur une expérience religieuse émotionnelle placée sous le signe de la foi en Jésus-Christ, ne se réduit cependant pas à une machine à convertir. Il a des effets sociaux, anthropologiques, culturels qui dépassent le cadre de l’adhésion à son message. La musique gospel en est un bon exemple. Depuis que les « fils de la Réforme » ont popularisé le chant choral, la musique est devenue un élément essentiel de la vie sociale protestante, à l'intérieur comme à l’extérieur des temples. L'évangélisme s'est inscrit dans ce sillage et a développé, par le biais d’un chant gospel luxuriant, une hymnologie foisonnante qui s’est adaptée aux contextes nationaux. Après le gospel nord-américain, on a pu voir se développer un gospel européen, en particulier francophone, ancré dans les cultures africaines et antillaises. Cette expression musicale fédère aujourd'hui une francophonie protestante (majoritairement évangélique) de 40 millions d'individus. Elle permet la construction de nouvelles formes de culture transnationales fondées sur la musique, ce qui n’est pas exempt de conséquences géopolitiques… Les scènes gospel camerounaise, gabonaise ou congolaise offrent en effet des espaces de contestation sociopolitique. Certains pouvoirs utilisent aussi cette culture musicale à des fins de propagande. En Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo s'est ainsi appuyé, jusqu'à sa chute en 2011, sur de nombreux chantres évangéliques pour tenter de restaurer sa légitimité contestée.

L’action des O.N.G. évangéliques, dont le développement est continu, est un des autres terrains de l'influence internationale de l'évangélisme contemporain. Des O.N.G. transnationales d’origine occidentale, comme World Vision ou Samaritan’s Purse, toutes deux enracinées aux États-Unis, pèsent de tout leur poids sur les enjeux de développement, et multiplient des initiatives en partenariat avec des Églises ou des O.N.G. locales… Grâce à l’U.S.A.I.D. (United States Agency for International Development), elles sont susceptibles de recevoir de substantiels soutiens publics. Samaritan's Purse (au budget annuel de 300 millions de dollars) reçut ainsi un soutien public important à l’occasion des opérations de reconstruction en Haïti (à la suite du séisme de janvier 2010), ce qui fut d’ailleurs l’occasion de vifs débats aux États-Unis. C’est en fait sur ce terrain que l'influence de l’évangélisme nord-américain reste la plus visible.

L’importance des megachurches évangéliques va également croissant. Ces Églises géantes rassemblent chaque semaine plus de deux mille fidèles dans d’immenses multiplexes religieux, s’appuyant sur des budgets pléthoriques. Le phénomène est ancien aux États-Unis. Il trouve ses racines dans les « camps meeting », ces rassemblements de masse qui réunissaient les fidèles noirs et blancs au cours du deuxième « grand réveil » américain (fin du xviii^e, début du xix^e siècle : il fut l’occasion d’une évangélisation massive de la population noire). Au début du xxi^e siècle l'ascension des megachurches en Amérique du Nord est fulgurante. Elles étaient 16 en 1970, 400 au milieu des années 1990 et plus de 1 400 en 2014. Le phénomène s'observe sur tous les continents, que ce soit en Chine, au Brésil, en Afrique du Sud ou en Ukraine. Fondée à Kiev (Ukraine) par Sunday Adelaja, un pasteur nigérian charismatique, l'Église de l’Ambassade de Dieu regroupe plus de 20 000 fidèles. Elle passe pour avoir joué un rôle actif au cours de la « révolution orange ».

Création musicale, O.N.G. et megachurches sont les aspects les plus visibles de l’affirmation internationale et multipolaire des organisations évangélistes. Celles-ci sont encore perçues comme les agents de l’influence[...]