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MONTESQUIEU CHARLES DE (1689-1755)

Réalisation et sens du grand œuvre : « De l'esprit des lois » (1748)

Nous voici au moment où va prendre forme la systématique, où la méthode va engendrer un savoir nouveau, une « manière d'enseigner les lois ». Et c'est d'abord l'écrivain politique qu'il faut saluer au travail dans une œuvre de pensée où le langage est essentiel. Montesquieu a un style philosophique, une manière de penser et de faire penser, des usages intellectuels propres à son temps et particuliers à son entreprise. L'Esprit des lois ne peut pas se résumer à la rencontre d'une intention didactique et du talent d'un homme d'esprit. Il y a une question de dispositio : l'intime cohérence d'un ouvrage qui a cherché son unité de façon totalement inédite –cohérence qui ne fut pas toujours perçue des contemporains, par incompréhension du projet qui la porte. Il y a l'adhésion nécessaire à une elocutio : ce sacrifice des idées intermédiaires et des minuties de jurisconsulte, car « qui pourrait tout dire sans un mortel ennui ? » ; et « il ne s'agit pas de faire lire, mais de faire penser ». Ce ne sont pas des coquetteries, mais un effort d'écrivain pour garder dans le savoir quelque chose des mouvements vrais de l'âme et des nécessaires changements de perspectives, et celui d'un chercheur sollicité par des questions limites qui viennent aider à redéfinir le cours de l'enquête sans le rompre.

Entre 1741 et 1743, à Paris, Montesquieu fait mettre au net une première fois la majeure partie de L'Esprit des lois. C'est là le point de départ important, et c'est vainement que des commentateurs s'échineraient à trouver ponctuellement le primum motum. La célèbre formule de la préface sur l'impulsion due à la découverte des principes, assurément antérieure, ne désigne pas ce qui allait commander comme de source le développement de l'œuvre, mais ce qui allait permettre la mise au point de la formulation stable des bonnes questions à poser aux conditions naturelles, historiques, politiques des législations, et à ce qui lie ces conditions dans l'état civil et l'état politique.

C'est ce que théorise une première fois le livre I à partir d'une définition inédite de la loi comme rapport nécessaire dérivant de la nature des choses, contestée aussi bien par les tenants de la « loi-commandement », philosophes et juristes, que par des empiristes comme Hume. L'essentiel est à la fois ce qui est regroupé et déduit autour de cette conception centrale, ce qui la précise et l'infléchit, voire la particularise, depuis la typologie politique jusqu'à ce qui apporte un dernier éclairage sur la tâche du législateur et le rapport qui lie politique et histoire. Ici peut se saisir l'ordre (le point de vue, non l'ordonnance) dans lequel Montesquieu situe sa recherche : minimalité du recours au droit naturel, à concilier avec la supposition inéluctable de rapports d'équité fondamentaux ; écart décisif pour mettre de côté les questions classiques de la sociabilité naturelle et du contractualisme, la première renfermant une pétition de principes, et la seconde se posant dans la construction des sociétés civiles et non comme un débat sur l'origine. Mais surtout, en même temps que celui des rapports qui forment l'esprit des lois, émergent d'entrée deux problèmes : celui de la totalité réelle que constitue une société civile (organisée politiquement), du lien entre le politique et le civil qui peuvent rester principiellement distincts (la réunion des volontés,la réunion des forces) ; et le problème de la rationalité se particularisant à travers l'étude d'une série de « générations de lois ». Car, et c'est la deuxième définition : « la loi est la raison humaine en tant qu'elle éclaire tous les[...]

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Pour citer cet article

Georges BENREKASSA. MONTESQUIEU CHARLES DE (1689-1755) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Montesquieu - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Montesquieu

Autres références

  • DE L'ESPRIT DES LOIS, Montesquieu - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel DELON
    • 1 117 mots
    • 1 média

    Le traité de Montesquieu (1689-1755), De l'esprit des lois, fut publié anonymement à Genève en 1748, puis corrigé dans l'édition posthume de Londres (en fait Paris) en 1757. Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu a étudié le droit à Bordeaux, avant de devenir avocat, conseiller...

  • LES LETTRES PERSANES (Montesquieu) - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel DELON
    • 1 019 mots
    • 1 média

    Le roman de Montesquieu (1689-1755) Les Lettres persanes fut publié anonymement en 1721 sous une fausse adresse à Cologne, et augmenté de onze lettres nouvelles en 1754, ainsi que de « Quelques Réflexions sur Les Lettres persanes ». L'originalité qui a assuré son succès immédiat et sa célébrité...

  • ANTISÉMITISME

    • Écrit par Esther BENBASSA
    • 12 229 mots
    • 9 médias
    À défaut de sympathie, Montesquieu invite néanmoins à la tolérance à l'égard des juifs dans les Lettres persanes (1721), ce qui ne l'empêche pas de manifester de l'hostilité tant à l'égard du Talmud que des rabbins. Dans L'Esprit des Lois (1748), il s'insurge contre...
  • CONSTITUTION

    • Écrit par Pierre BRUNET
    • 4 216 mots
    • 1 média
    ...s'apparente à un pur mécanisme, à un ensemble de lois naturelles propres au monde politique et pensées sur le modèle des lois naturelles du monde physique. Ici s'impose la figure de Montesquieu, dont Ernst Cassirer a si bien montré ce qu'il devait à la physique newtonienne (tout comme Thomas Paine ou James...
  • CORPS INTERMÉDIAIRES

    • Écrit par Solange MARIN
    • 855 mots

    L'ancienne France était, depuis le Moyen Âge, composée de groupes d'individus appelés corps : collèges, communautés, associations de gens ayant même métier ou même fonction dans la nation, et réunis à la fois pour la préservation de leurs intérêts particuliers et celle du bien commun. Ces corps...

  • CULTURE - Culture et civilisation

    • Écrit par Pierre KAUFMANN
    • 14 361 mots
    • 2 médias
    La rencontre que Montesquieu fit à Londres de Pierre Coste, protestant français en exil, éditeur de Montaigne en Angleterre et traducteur de Locke en français, l'admiration mitigée donnée à Montesquieu par Herder – « la noble œuvre gigantesque de Montesquieu », et cependant « des faits arrachés à leur...
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