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CORPS INTERMÉDIAIRES

L'ancienne France était, depuis le Moyen Âge, composée de groupes d'individus appelés corps : collèges, communautés, associations de gens ayant même métier ou même fonction dans la nation, et réunis à la fois pour la préservation de leurs intérêts particuliers et celle du bien commun. Ces corps existaient avec la permission du souverain et lui étaient subordonnés, bien que leur existence fût souvent antérieure à l'instauration de son pouvoir ; c'étaient les parlements, cours et conseils souverains, corps de médecins ou d'avocats, corporations et métiers, compagnies de commerce ou d'industrie. Ils possédaient leurs propres lois et statuts, ce qui ne les dispensait pas d'obéir aux lois générales, et des libertés et privilèges qui les garantissaient contre l'arbitraire et le despotisme. En tant que personne morale, un corps pouvait posséder des biens ou intenter un procès pour faire respecter ses coutumes ; il avait un rang dans la société, auquel étaient attachés honneurs et dignités. Dans une interprétation élargie qui est celle de Montesquieu, ces corps englobent également les ordres, la noblesse ou le clergé étant des corps, et les communautés territoriales : provinces et seigneuries, villes et communautés rurales. L'existence de cette infinité de souverainetés limitées, de pouvoirs intermédiaires entre l'État et les sujets, explique la lenteur avec laquelle a progressé la centralisation du pouvoir royal, sans cesse freinée par l'opposition, parfois ouverte mais plus souvent feutrée, de ces groupements d'intérêts, critiquant, voire récusant chaque loi ou règlement, intentant d'interminables procédures. Si bien que c'est à la faveur de troubles, de crises, de guerres, que l'absolutisme royal a pu s'instaurer, et de façon précaire.

Ces corps, au xviiie siècle, ont perdu beaucoup de leur vitalité et de leurs privilèges : il ne reste que bien peu d'états provinciaux ; les villes sont mises en tutelle administrative et financière ; les corporations figées dans leurs traditions sont considérées comme une entrave à l'activité économique ; les universités sont assagies ; la noblesse et le clergé ont perdu le sens de leur mission ; et, aveuglés par leur égoïsme de privilégiés, les parlements sapent la royauté dont ils sont une création sans songer à s'unir aux autres corps dont ils prétendent être l'émanation. C'est à ce moment que Montesquieu élabore sa théorie des corps intermédiaires : « Abolissez dans une monarchie les prérogatives des seigneurs, du clergé, de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un État populaire ou un État despotique » ; car c'est la rencontre, le choc d'intérêts divergents, de volontés contraires, qui crée l'équilibre des pouvoirs et préserve les libertés. À cette argumentation, les assemblées révolutionnaires ont répondu par la dissolution de tous les corps de la nation et par l'interdiction de toute association : « La Révolution n'a laissé debout que des individus », écrit Royer-Collard. La pensée qui a présidé à la suppression des corps est celle-ci : limiter les entreprises du pouvoir est nécessaire lorsque la source de celui-ci est viciée, fondamentalement mauvaise ; puisqu'il émane désormais de la volonté populaire, ses fondements sont sains et la défense des citoyens est désormais inutile. Tocqueville, ayant analysé les sociétés de son temps, notamment en France et en Amérique, voit, lui aussi, dans les corps intermédiaires un frein à la centralisation des pouvoirs et un moyen d'intéresser les individus aux affaires publiques, car le grand mal des sociétés égalitaires et démocratiques, c'est leur tendance à abdiquer entre les mains de l'État-providence. Dans De la démocratie en Amérique, il écrit[...]

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Solange MARIN. CORPS INTERMÉDIAIRES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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