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BIEN, philosophie

Les biens objectifs et la bonne volonté kantienne

L'hypothèse d'une objectivité du bien humain correspond à l'intuition qu'il est possible de juger du bonheur selon des critères relativement stables, en adoptant un point de vue de troisième personne. Plusieurs philosophes ont souligné l'aspect propositionnel du bonheur. Cette conception est étroitement liée à l'idée qu'il existe des biens humains objectifs. Le bonheur ne consiste pas seulement dans le fait d'« être heureux », mais surtout d'« être heureux du fait de x, y, z... », la référence de l'expression (« x, y, z », autrement dit, ce que sont les choses dont on peut être heureux) étant essentielle à la définition de la réalité de ce bonheur. Le bonheur est réel s'il se rapporte à des biens ; ces biens doivent eux-mêmes renvoyer à des états de chose susceptibles d'être décrits par des propositions vérifiables. Voilà qui explique comment on peut éprouver un sentiment de satisfaction à l'égard d'un bien dont la réalisation n'entraîne pas nécessairement son propre bonheur personnel, mais le bonheur d'autrui, par exemple, celui d'un être aimé. De la même façon, lorsque nous souhaitons le bonheur de ceux qui nous sont chers, nous ne souhaitons pas seulement qu'ils éprouvent une satisfaction, mais surtout que celle-ci se rapporte à des états objectivement bons.

Dans cette conception, il ne suffit pas de dire que les personnes se sentent et se jugent heureuses pour qu'elles soient dites à proprement parler heureuses. Le sentiment que ces personnes éprouvent est une condition nécessaire pour les dire heureuses, mais non une condition suffisante, car ce sentiment peut être éprouvé à tort, ou dépendre d'une croyance fausse. Le fait qu'on puisse se dire heureux sans que cela soit justifié rend donc difficile de parler de bonheur sans pouvoir rapporter ce bonheur à un ou à des biens humains qui s'étendent à l'ensemble de la vie, réalisent des potentialités humaines et soient ouverts à une certaine appréciation publique. Il peut bien sûr arriver que ces biens soient présents dans la vie d'un être humain sans que celui-ci en tire la moindre satisfaction, mais la possibilité d'un tel fait ne permet aucunement d'affirmer que le bonheur se réduise à la satisfaction.

Il est tout à fait essentiel d'insister sur cet aspect objectiviste du bonheur. D'abord, parce qu'il permet de bien distinguer entre le point de vue de la personne qui éprouve le bonheur et le point de vue d'un observateur détaché. Un individu simple d'esprit ou lobotomisé, qui, d'un point de vue subjectif, serait parfaitement heureux en comptant des brins d'herbe, ne serait sans doute pas jugé tel par un observateur. Car cette activité n'est pas unanimement comptée au nombre des choses humaines bonnes, sources objectives de bonheur. On pourrait également penser qu'un individu qui trouverait son bonheur à faire le mal ne serait pas non plus jugé heureux. À l'inverse, on pourrait imaginer le cas d'un individu qu'une troisième personne jugerait heureuse, en raison de toutes les bonnes choses objectives dont il jouit, mais qui ne se concevrait pas lui-même comme heureux.

Ces remarques suggèrent que le sentiment de satisfaction doit se rapporter à des réalités qui sont des biens réels. Les biens humains, référents objectifs du bonheur, ne sont pas seulement les biens matériels ; ils incluent surtout les talents, les relations intersubjectives, la qualité du rapport à autrui, l'estime de soi-même, et aussi des biens plus propres à la personne comme la capacité à réfléchir, le sens esthétique, la richesse des sentiments éprouvés, les ressources psychologiques, la bonté du caractère, etc. Ces choses sont bonnes en elles-mêmes, aptes à être voulues, recherchées[...]

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Pour citer cet article

Monique CANTO-SPERBER. BIEN, philosophie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Martha Nussbaum - crédits : Roberto Serra - Iguana Press/ Getty

Martha Nussbaum

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