Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TRAITE DES NOIRS

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

La traite et la colonisation de l'Amérique

La découverte de l'Amérique suscita l'unification épidémiologique de la planète, provoquant un choc microbien et viral chez les Amérindiens. Déjà atteintes par les maladies contagieuses qui frappaient les Européens et partiellement immunisées, certaines populations africaines parurent mieux adaptées que les Amérindiens au nouveau milieu épidémiologique américain. Dès lors, l'introduction d'Africains, favorisant la contagion chez les Amérindiens, incita les colons à acquérir davantage d'esclaves originaires de régions africaines immunisés contre les maladies infectieuses transmissibles, en particulier contre la rougeole et la variole. Perceptible dès le début du xviie siècle, ce choix des colons contribua, à la fois, au dépérissement des populations amérindiennes et au développement de l'esclavage africain dans le Nouveau Monde.

Les caractéristiques d'âge et de sexe des déportés conditionnèrent l'évolution démographique des populations noires américaines. La faible proportion de femmes parmi les esclaves, le fait que celles-ci aient déjà passé plusieurs années de leur période de fécondité en Afrique et le petit nombre d'enfants débarqués rendaient difficile la reproduction des esclaves en Amérique. Comme l'écrit C. Meillassoux, la reproduction « mercantile » des esclaves – par le biais de la traite – était plus rapide et plus rentable que leur reproduction naturelle. Dans ce contexte, les États-Unis, où le taux de reproduction des esclaves a été positif dès le début du xviiie siècle, constituent un cas à part dans les annales de l'esclavage moderne. Les arguments attribuant cette spécificité au « meilleur traitement » que les Américains auraient accordé à leurs esclaves ont été rejetés par les historiens démographes, qui ont démontré que la période de fécondité des captives était à peu près semblable dans toutes les régions américaines. Des recherches récentes soulignent, en revanche, l'importance de la durée de l'allaitement. Alors que les esclaves américaines adoptaient les méthodes de l'Europe du Nord, nourrissant leurs enfants pendant une année, dans les autres régions esclavagistes du continent, elles suivaient les traditions africaines, prolongeant l'allaitement au-delà d'une année. L'écart des intervalles intergénésiques qui en résulte semble être l'une des raisons du plus grand nombre de naissances chez les esclaves américaines.

Outre le déclin de la population amérindienne et le taux d'accroissement négatif des esclaves noirs, la traite atlantique fut aussi stimulée par les réticences des Européens à émigrer en Amérique. David Eltis remarque que, du point de vue de l'immigration, le continent américain constitue, jusqu'au milieu du xixe siècle, une extension de l'Afrique plutôt qu'un prolongement de l'Europe. Pour chaque Européen arrivé au Nouveau Monde autour des années 1820, il entrait quatre, et peut-être cinq, Africains. C'est seulement après les années 1840 que les migrations européennes dépassèrent les transferts forcés d'Africains vers l'Amérique. Néanmoins, l'importance des esclaves ne repose pas uniquement sur le fait que, en Amérique, ils pouvaient être contraints de travailler lorsque les travailleurs libres s'y refusaient. En réalité, les captifs noirs furent liés à un secteur productif spécifique : ils attiraient plus d'investissements, travaillaient plus intensément, plus longuement, de façon plus coordonnée, et ils produisaient des marchandises pour le commerce et l'exportation à une échelle inégalée dans les secteurs coloniaux tributaires du travail libre. La coercition, l'absence de la division sexuelle du travail dans les champs et la reproduction mercantile des esclaves assurée par la traite atlantique entraînent des taux élevés d'activité[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire du Brésil, directeur du Centre d'études du Brésil et de l'Atlantique sud à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Luiz Felipe de ALENCASTRO. TRAITE DES NOIRS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

La traite des Noirs - crédits : Encyclopædia Universalis France

La traite des Noirs

1600 à 1700. Les nouveaux conquérants - crédits : Encyclopædia Universalis France

1600 à 1700. Les nouveaux conquérants

Récolte du café - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Récolte du café

Autres références

  • ABOLITION INTERNATIONALE DE LA TRAITE ATLANTIQUE

    • Écrit par
    • 189 mots
    • 1 média

    La traite des Noirs par l'Atlantique a débuté au xve siècle, à destination de l'Europe, mais c'est après la découverte de l'Amérique qu'elle a pris son essor, pour fournir de la main-d'œuvre aux plantations. Les estimations sur le nombre de personnes déportées d'Afrique en Amérique varient,...

  • TRAITE DES ESCLAVES - (repères chronologiques)

    • Écrit par
    • 240 mots

    8 août 1444 Vente publique d'Africains (blancs et noirs) à Lisbonne.

    1518 Charles Quint crée le système de l'asiento (monopole de l'État et concession à des particuliers).

    1602 Création de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, modèle des compagnies concessionnaires...

  • ABOLITIONNISME, histoire de l'esclavage

    • Écrit par
    • 2 943 mots
    • 3 médias
    ...l'abbé Grégoire (le véritable abolitionniste français de l'époque révolutionnaire) de supprimer les primes aux armateurs négriers, sans interdire la traite elle-même. Si le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention vote enfin le décret abolissant l'esclavage, le mérite en revient moins aux abolitionnistes...
  • AFRIQUE (Structure et milieu) - Géographie générale

    • Écrit par
    • 21 496 mots
    • 29 médias
    La longue éclipse de l'Afrique dans l'histoire mondiale est évidemment à mettre en relation avec latraite des esclaves qui a entravé la croissance du continent tout en entraînant une large dissémination des populations noires dans le Nouveau Monde. La question de l'esclavage et de la traite fait...
  • AFRIQUE (Histoire) - De l'entrée dans l'histoire à la période contemporaine

    • Écrit par , et
    • 9 654 mots
    • 6 médias
    ...à Arguin, les Portugais construisent, après 1482, le fort de São Jorge da Mina (Ghana actuel) ; dès 1493, São Tomé devient la plaque tournante de leur commerce entre Congo et Bénin ; très vite, ils y stockent des esclaves vendus ensuite aussi bien en Afrique occidentale (Ashanti) qu'en Europe, ou dans...
  • AMÉRIQUE (Structure et milieu) - Géographie

    • Écrit par , et
    • 18 105 mots
    • 9 médias
    L'introduction des Noirs fut aussi un des effets de la colonisation. Dans ce domaine également, l'Amérique ibérique se montra particulièrement précoce. Suivant la recommandation du père Bartolomé de Las Casas, qui s'effrayait de voir les Indiens mourir en grand nombre dans les mines...
  • Afficher les 51 références