Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TITIEN (1488 env.-1576)

La dernière période

En 1551, plus que sexagénaire, Titien revient définitivement à Venise, pour une période de travail intense, occupée en grande partie par l'exécution de commandes princières. L'énergie créatrice, la résistance physique, les recherches de style faites dans l'enthousiasme permettent au génie de l'artiste d'élaborer de nouvelles formes d'expression. C'est surtout à l'époque actuelle que la critique a compris cette dernière phase de l'activité de Titien ; en 1920, Max Dvořák a mis en évidence la haute spiritualité qui caractérise cette phase, « comme si l'artiste, renonçant à l'ivresse sensuelle des œuvres de jeunesse, s'était cherché lui-même dans une région plus élevée et plus lointaine de l'esprit ».

Dans les œuvres religieuses telles que la Crucifixion peinte pour San Domenico d'Ancône, le Martyre de saint Laurent exécuté pour l'église des Jésuites de Venise et terminé en 1559 après une longue élaboration, la Sainte Marguerite du Prado (1559), un nouveau sens dramatique apparaît dans la manière de situer les événements en des atmosphères sombres, animées comme magiquement par les lumières rouges du couchant ou par les flammes des torches. Parallèlement, au cours de la décennie 1552-1562, le peintre se consacre à une intense production profane, à ce qu'on appelle les Poésies, œuvres à thèmes mythologiques réalisées souvent pour le compte de Philippe II. Ici encore, une simple comparaison avec les évocations mythologiques de la jeunesse permet de constater un changement de sensibilité et, par conséquent, d'expression : apparition de thèmes dramatiques dans les Adieux d'Adonis et Vénus (Prado et National Gallery de Londres), où se lit le pressentiment de la mort, ou dans la série du mythe de Callixte et d'Actéon (National Gallery d'Édimbourg, 1556-1559) punis par l'implacable Diane. Dans l'Actéon déchiré par les chiens (National Gallery de Londres) et le Rapt d'Europe (collection Gardner, Boston, 1562) surtout s'opère une destructuration de la forme du dessin à travers une matière dense, animée par des lumières très mobiles ; on y trouve un langage marqué par une conception angoissée de l'humanité, un jeu fragile de forces qui tendent à l'anéantissement de celle-ci. L'exaltation du nu féminin, dans lequel s'était complu la profonde sensualité de Titien à travers les diverses versions de la Vénus avec l'organiste (depuis le prototype du Prado, qui date de 1550 environ), revêt également, dans l'élaboration du mythe de Danaé, des accents quasi dramatiques. Le pouvoir pour ainsi dire transfigurateur de la couleur, qui absorbe en elle tous les autres éléments de la composition, ligne, relief, délimitation spatiale, informe les chefs-d'œuvre de la dernière période de Titien, de 1564 à 1576. Dans l'Annonciation de l'église San Salvatore à Venise, l'Ange fait irruption dans la chambre de la Vierge à travers un éclair de lumières fulgurantes ; dans la mystérieuse scène de l'Enfant avec des chiens du musée de Rotterdam, les lueurs de l'incendie illuminent un bébé atterré ; dans La Nymphe et le berger du Kunsthistorisches Museum de Vienne, « la matière de la couleur, exaltée en un tissu de fine poussière [...], confère à la scène d'amour un sauvage pouvoir d'expression » (R. Pallucchini). La souffrance du Saint Sébastien de l'Ermitage, la violence et l'effroi de Tarquin et Lucrèce, surtout dans la dernière version, celle de l'académie de Vienne, la cruauté du Martyre de saint Laurent, terminé en 1567 (Escurial) ou du Supplice de Marsyas (musée national de Kromeriz, env. 1570) illustrent de manière suprême l'imagination visionnaire du dernier Titien. L'artiste peint ses représentations fantomatiques,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur au Centre international d'éducation artistique, U.N.E.S.C.O.

Classification

Pour citer cet article

Anna PALLUCCHINI. TITIEN (1488 env.-1576) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Portrait de Caterina Cornaro</it>, Titien - crédits : Nimatallah/ AKG-images

Portrait de Caterina Cornaro, Titien

Portrait de l'Arétin, Titien - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Portrait de l'Arétin, Titien

<it>Vénus endormie</it>, Giorgione - crédits :  Bridgeman Images

Vénus endormie, Giorgione

Autres références

  • AMOUR

    • Écrit par Georges BRUNEL, Baldine SAINT GIRONS
    • 10 182 mots
    • 5 médias
    ...artistes de la Renaissance et de l'époque classique n'avaient qu'à suivre les modèles et les traditions de l'Antiquité. En 1518-1519, Titien peignit pour Alphonse d'Este un tableau, La Fête de Vénus, aujourd'hui au Prado : une effigie de la déesse se dresse à droite de la scène...
  • ANATOMIE ARTISTIQUE

    • Écrit par Jacques GUILLERME
    • 8 926 mots
    • 7 médias
    ...de onze grandes planches d'études anatomiques et de dessin gravées sur cuivre... ce qui n'éclaire pas la question ! On a récemment avancé que le grand Titien lui-même avait pu participer à l'ouvrage. Il a effectivement pratiqué la gravure sur bois de 1508 à 1568. A. Caro évoque au xvie siècle...
  • ARÉTIN L' (1492-1556)

    • Écrit par Paul LARIVAILLE
    • 3 064 mots
    • 1 média
    ...sainte, simplifiée et traduite en une succession de fresques hautes en couleur présentant des affinités certaines avec les compositions picturales de Titien. L'oubli dans lequel elles ont sombré par la suite s'explique non seulement par les interprétations souvent peu orthodoxes qu'on y trouve des Écritures...
  • BIOGRAPHIES D'ARTISTES

    • Écrit par Martine VASSELIN
    • 2 389 mots

    La vie d'artiste est un genre littéraire d'une grande ancienneté, abondamment illustré depuis la Renaissance. On en fait remonter l'origine aux commentateurs de Dante qui ont élucidé et développé la mention lapidaire des noms de Cimabue et de Giotto insérée dans la Divine...

  • Afficher les 17 références

Voir aussi