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BERNHARD THOMAS (1931-1989)

Thomas Bernhard - crédits : Imagno/ Getty Images [Thomas Bernhard, Salzburg, Photographie, 1971]

Thomas Bernhard

Autrichien unique en son genre, Thomas Bernhard se rattache pourtant à toute une grande tradition par laquelle ce pays a profondément marqué les lettres allemandes et la culture européenne en général, de Musil à Wittgenstein et de Karl Kraus à Schönberg : perversion de la « nature » et « nature » de l'artifice, cruauté feutrée et violente des rapports entre les êtres, destruction méthodique alliée à un étonnant vouloir-vivre, le tout incarné dans un art combinatoire et « musical » où se rejoignent la vie et la mort.

Une identité problématique

La biographie, dans le cas de Bernhard, n'est pas sans intérêt pour l'appréciation d'une œuvre qui tourne tout entière autour d'une quête d'identité, d'une confrontation aux origines. Celles de Bernhard (qui porte le nom du premier mari de sa grand-mère maternelle !) sont, comme on dit, « naturelles ». Divers travaux suggèrent qu'il est le produit d'un viol, ou tout au moins d'un acte fugitif. Le père, un jeune menuisier du pays des lacs salzbourgeois, d'où est originaire la famille maternelle de Bernhard, ne reconnaît pas l'enfant, qui voit le jour aux Pays-Bas, dans une maternité religieuse pour filles perdues, le 9 février 1931. Sa mère, qui travaille très dur dans ce pays comme servante, pour gagner sa vie et celle de sa famille, est obligée de le mettre en nourrice. Elle gardera rancune toute sa vie à l'amant d'un jour qui s'est empressé de l'abandonner et de fuir en Allemagne. Le jeune Thomas, qui plus est, présente une ressemblance physique frappante avec le père définitivement disparu, et qu'il ne connaîtra jamais. De retour en Autriche avec son fils, Herta Freumbichler, fille nourricière d'un écrivain anarchisant et sans succès, épouse un garçon coiffeur, Emil Fabjan, et donne à Thomas un demi-frère et une demi-sœur.

Thomas Bernhard cependant est d'abord élevé par ses grands-parents maternels. En 1938, il retrouve sa mère et son « tuteur », qui se sont installés de l'autre côté de la frontière, dans la bourgade bavaroise de Traunstein. Difficultés de l'adolescence, embrigadement nazi, débuts de la guerre : Bernhard décrit cette période comme un enfer, adouci seulement par la proximité des grands-parents venus vivre dans un village proche. En 1943, Bernhard entre à Salzbourg dans un internat dirigé jusqu'à la fin de la guerre par les nazis, et repris ensuite par ses fondateurs catholiques. Cette double violence marquera Bernhard jusqu'à la fin de ses jours, jusqu'aux diatribes de sa dernière pièce, Heldenplatz (1988). Aurait eu lieu alors une deuxième tentative de suicide, après celle de la petite enfance.

Le lycée succède à l'internat. Mais Bernhard le quitte brusquement en 1947, par une de ces décisions en faveur de « la direction opposée » dont il fera un système. Travaillant alors comme apprenti épicier dans une boutique en sous-sol située dans une banlieue ouvrière, il contracte en 1949 une pleurésie qui se transforme bientôt en tuberculose pulmonaire. Le grand-père adoré tombe lui aussi malade. Il meurt la même année. Sa mère disparaît l'année suivante. Voici Bernhard seul, transporté de sanatorium en sanatorium où, en ces années de pénurie, il côtoie sans cesse une mort à laquelle il semble promis. Une fois encore, c'est de son propre chef, dit-il, qu'il quitte clandestinement cet univers médico-carcéral.

À vingt ans, seul et misérable, il gagne Vienne, où il obtient une bourse de l'Académie de musique, puis revient à Salzbourg, où il reprend ses études de chant interrompues et entre au Mozarteum (1952). Il envisage une carrière de metteur en scène ou d'acteur et obtient son diplôme, dit-on, grâce à un travail sur Brecht et Artaud (1957).

Il commence à voyager, écrit des nouvelles et des poèmes.[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, maître de conférences de littérature allemande à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Claude PORCELL. BERNHARD THOMAS (1931-1989) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Thomas Bernhard - crédits : Imagno/ Getty Images [Thomas Bernhard, Salzburg, Photographie, 1971]

Thomas Bernhard

<it>Élisabeth II</it>,de Thomas Bernhard - crédits : G. Hartung/ AKG-images

Élisabeth II,de Thomas Bernhard

Autres références

  • CORRECTIONS, Thomas Bernhard - Fiche de lecture

    • Écrit par Claude PORCELL
    • 860 mots

    Le roman de Thomas Bernhard (1931-1989), Corrections (1975) est une œuvre qui aspire constamment à une « mise en ordre », mais que l'on ne sait paradoxalement comment aborder. Corrections fait suite à trois romans, mais aussi à cinq pièces de théâtre : Une fête pour Boris (1970),...

  • DÉJEUNER CHEZ WITTGENSTEIN (T. Bernhard)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 939 mots

    Le grand écrivain et auteur dramatique autrichien Thomas Bernhard (1931-1989) n'est jamais allé chercher très loin son inspiration. On peut dire qu'une large partie de son œuvre est autobiographique, en clair dans ses récits, d'une manière à peine voilée dans ses pièces. S'il n'y figure pas à visage...

  • MES PRIX LITTÉRAIRES (T. Bernhard)

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 969 mots

    Avec Mes Prix littéraires, paru en Autriche pour le vingtième anniversaire de sa mort et traduit en France un an plus tard (trad. D. Mirsky, Gallimard, 2010), Thomas Bernhard, l'enfant terrible des lettres autrichiennes, lance un énorme pavé posthume dans la mare de l'industrie littéraire. Terminé...

  • AUTRICHE

    • Écrit par Roger BAUER, Jean BÉRENGER, Annie DELOBEZ, Universalis, Christophe GAUCHON, Félix KREISSLER, Paul PASTEUR
    • 34 125 mots
    • 21 médias
    Thomas Bernhard (1931-1989), dont le prestige ne le cède en rien à celui de Handke, est, lui, un solitaire vivant retiré loin des villes et des cénacles, un angoissé obsédé par l'idée de la mort et du dépérissement de l'univers, mais dont l'expression, sincère et parfaitement maîtrisée, est capable de...
  • DRAME - Les écritures contemporaines

    • Écrit par Jean-Pierre SARRAZAC
    • 6 535 mots
    • 2 médias
    Dans ce paysage intellectuel, la dramaturgie de Thomas Bernhard prend une place singulière : théâtre testamentaire – du Réformateur, du Faiseur de théâtre, 1984, d'Emmanuel Kant (1978) – où l'adresse au spectateur et l'imprécation se combinent avec une intersubjectivité exacerbée, où le...
  • LAMARCHE-VADEL BERNARD (1949-2000)

    • Écrit par Christian GATTINONI
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    Bernard Lamarche-Vadel, collectionneur français d'art contemporain, châtelain d'Ille-et-Vilaine, fils de vétérinaire, né en 1949, est également critique et écrivain. Fait peu banal, il a toujours gardé le nom de la femme qu'il a rencontrée à dix-neuf ans, Gaëtane Vadel. Sa vie tout entière est...

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    Au cœur de sa création théâtrale, amorcée à la fin des années 1970, Krystian Lupa, metteur en scène, plasticien et pédagogue polonais, entretient une relation avec l’auteur et dramaturge autrichien Thomas Bernhard (1931-1989), en qui il reconnaît depuis longtemps « un frère d’armes ». Une...

Voir aussi