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TEMPORALITÉS (histoire)

Il n'y a pas d'histoire sans dates, rappelle-t-on parfois, et avec raison ! Mais le temps est à ce point le quotidien de l'historien que ce dernier risque d'en faire un usage simplement classificatoire. La démarche chronologique est chez lui comme une seconde nature. Différentes pourtant ont été les expériences du temps, suivant les lieux et les époques. Il y a ainsi une histoire du temps et de ses usages, dont un moment important a été marqué, avec Fernand Braudel, au xxe siècle, par la découverte d'une pluralité de temps ou de temporalités au sein d'une société.

À partir de la fin du xviiie siècle, on assiste, en Europe, à une temporalisation de l'histoire : à l'idée de progrès est venue s'ajouter celle de l'histoire conçue comme processus, comme autocompréhension dans le temps. Désormais, le temps n'est plus seulement le cadre de ce qui arrive, il devient un acteur : les choses n'adviennent plus dans le temps, mais par lui. Si bien que 1789 peut dater, symboliquement au moins, le passage d'un « Ancien Régime » à un « nouveau régime » d'historicité (François Hartog, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, 2003). Dans l'ancien régime, on se tournait vers le passé pour comprendre ce qui arrivait, le passé était chargé d'exemples et on entretenait avec lui un rapport faisant appel à l'imitation. C'était le temps de l'histoire « maîtresse de vie ». Dans le nouveau régime, c'est, en revanche, le futur qui devient prépondérant : de l'avenir vient la lumière qui éclaire à la fois le présent et le passé. Le progrès commande, et le temps est accélération. On vit au rythme de l'événement, toujours nouveau, tandis que le passé, qui n'est plus une réserve d'exemples, est dépassé. Qu'en est-il de ce modèle, au début du xxie siècle, alors même que le futur a pâli et que le présent, dans un monde globalisé, a pris une extension considérable ?

Tout au long du xixe siècle, l'histoire, tandis qu'elle se professionnalisait et ambitionnait d'être une science, a mis en œuvre un temps historique linéaire, cumulatif et irréversible, correspondant à une histoire politique, celle-là même qui sera dénoncée, au siècle suivant, comme « historisante » ou « événementielle ». Mais auparavant, il a fallu des questionnements et des remises en cause venus, notamment, de la philosophie, de l'économie, de la sociologie, de la psychologie (Jean Leduc, Les Historiens et le temps, 1999). Hegel voit à l'œuvre dans l'histoire une raison universelle qui dépasse ses acteurs. Marx développe sa critique de fond du capitalisme. Bergson introduit la conscience de la durée. Les crises économiques du xixe siècle conduisent à privilégier la notion de cycles, qui conduit à sortir du seul temps linéaire.

De leur côté, les historiens français, invités par François Simiand, au tout début du xxe siècle, à se détourner de l'accidentel pour s'attacher au régulier et au répétitif, se lancent dans l'histoire des prix. Ernest Labrousse (1895-1988) publie son Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle en 1932. Mais c'est avec Fernand Braudel (1902-1985) que la « pluralité du temps social » devient l'objet même d'une histoire qui se définit comme « dialectique de la durée ». La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (1949), qu'organise l'étagement des trois temporalités, en avait été le premier essai, vite fameux. D'abord le socle de la longue durée, puis la conjoncture, enfin le temps court de l'événement. Des trois personnages proposés, le dernier, celui du temps bref, était le plus connu et aussi le moins porteur d'aperçus nouveaux : c'est celui de l'histoire[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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Pour citer cet article

François HARTOG. TEMPORALITÉS (histoire) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 30/01/2012