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SUPRANATIONALITÉ

La supranationalité hors d'Europe

La souveraineté de la plupart des 191 États membres de l'organisation des Nations unies est, en pratique, illusoire. Le monde forme aujourd'hui « une communauté involontaire de risques partagés » (Jürgen Habermas, Après l'État-nation, une nouvelle constellation politique, 2000). Rares sont pourtant les processus régionaux à avoir franchi le pas de la supranationalité. La Communauté de l'Afrique de l'Est reconnaît à une assemblée régionale un pouvoir de codécision législative avec les chefs d'État (traité d'Arusha, 30 novembre 1999). Le traité créant l'Union économique et monétaire ouest africaine (Dakar, 10 janvier 1994) met en place une Commission dont les membres « exercent leurs fonctions en toute indépendance dans l'intérêt général de l'Union ». En 2002, la transformation de l'Organisation de l'unité africaine en Union africaine dotée d'institutions supranationales (Commission, Parlement) indique une perte de prestige des discours nationaux devant la double évidence de la violation des droits humains et du décrochage économique. La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, signée le 27 juin 1981 et entrée en vigueur en octobre 1986, devrait bientôt pouvoir être invoquée directement par les citoyens africains devant une Cour de justice.

Mais la plupart des processus d'intégration régionale poursuivent un double objectif de stabilité et de commerce sans ouvrir un avenir supranational à l'action politique. Cette logique est celle de l'Accord de libre échange nord-américain (A.L.E.N.A.) et de la Coopération économique des pays d'Asie-Pacifique (C.E.A.P., ou A.P.E.C. selon les initiales anglaises). Elle prévaut dans l'Association des nations du Sud-Est asiatique (A.N.S.E.A.) dont le traité d'amitié et de coopération, signé à Bali le 24 février 1976, fixe les règles du respect mutuel de l'indépendance et de la souveraineté. Si la communauté andine comprend des institutions supranationales (tribunal de justice, parlement andin), leurs décisions sont peu appliquées. Quant au Marché commun du Sud (Mercosur), ses États sont partagés entre le désir d'intégration, pour peser plus sur la scène des Amériques comme sur celle du monde, et la crainte du dépassement supranational des États. En 2004, ils ont toutefois décidé l'élection au suffrage universel direct d'un parlement régional.

Le déficit démocratique constaté dans les constructions régionales montre que ces dernières, si elles sauvent la souveraineté étatique en en partageant l'exercice, n'ont guère sauvé à ce jour la souveraineté populaire, mise à mal par le transfert de pouvoir de la sphère politique à la sphère économique. Habermas prône la formation d'un espace public et l'action de partis supranationaux comme moyens d'un processus de légitimation. La voie de la supranationalité pourrait alors rejoindre la pensée internationaliste d'un Jean Jaurès.

— Jacques TÉNIER

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Écrit par

  • : conseiller maître à la Cour des comptes, professeur associé à l'Institut d'études politiques de Rennes

Classification

Pour citer cet article

Jacques TÉNIER. SUPRANATIONALITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • EUROPÉEN DROIT

    • Écrit par Berthold GOLDMAN, Louis VOGEL
    • 4 264 mots
    • 2 médias
    ...celle de la Communauté européenne (C.E.) et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom), à Rome, en 1958, à l'élaboration d'un véritable droit européen, à condition, ici encore, d'accepter cette dénomination pour un système juridique, en partie seulement d'origine supranationale, et qui...

Voir aussi