SUBDUCTION
La subduction peut être définie comme la plongée d'une plaque de lithosphère océanique sous une autre plaque lithosphérique, jusqu'à une profondeur de 700 kilomètres, au-delà de laquelle elle est recyclée dans le manteau. Cette plongée est accompagnée de phénomènes géodynamiques remarquables : forte activité sismique jusqu'à grande profondeur – tous les foyers intermédiaires (300 km) et profonds (jusqu'à 700 km) sont liés à la subduction –, volcanisme calco-alcalin fréquemment destructeur et, d'une façon générale, instabilité qui fait des zones de subduction les zones à haut risque du monde.
La subduction océanique sous une marge continentale, représentée par une cordillère ou par un arc insulaire isolé par une mer marginale, représente le cas le plus fréquent. Il existe aussi des subductions de lithosphère océanique sous une autre plaque océanique, qui développent des arcs insulaires intra-océaniques comme, semble-t-il, dans certaines parties du Pacifique sud-ouest. Mais il n'est pas certain cependant que ces arcs insulaires intra-océaniques ne soient pas eux aussi superposés à des fragments de lithosphère continentale.
Tout autre est la question de la subduction continentale, par laquelle une plaque continentale, à signification d'avant-pays d'une chaîne de montagnes, s'enfonce sous une autre plaque continentale. A priori, il ne s'agit que d'un phénomène limité, car la lithosphère continentale, légère, ne peut guère s'enfoncer dans le manteau supérieur, plus dense. Tout au plus pourrait-on admettre que les épaississements crustaux sous les chaînes de montagnes – leurs racines crustales – résulteraient, au moins partiellement, de ce phénomène.
Cependant, c'est dans ce sens qu'historiquement le mot subduction a été créé par André Amstutz en 1957, bien avant la conception de la théorie des plaques. On a proposé, dans les années 1980, de distinguer la subduction A d'une plaque océanique sous une autre plaque, continentale ou océanique, la plus générale dans le monde, et la subduction B d'une plaque continentale sous une autre plaque continentale, avec des exemples dans la cordillère des Andes ou l'Himālaya. Mais cette distinction prête à confusion, en ceci que toutes les structures compressives qui se redressent progressivement depuis l'horizontale, à leur front, jusqu'à un plus ou moins fort pendage, à l'arrière, sont plus générales que la subduction : toute suture tectonique possède ces caractéristiques.
Il serait raisonnable de réserver l'expression subduction à la subduction de la lithosphère océanique, comprise dans l'optique de la tectonique des plaques, bien que ce ne soit pas dans ce sens que le mot ait été créé autrefois. Ainsi conçue, la subduction océanique est complémentaire de l' accrétion océanique au niveau des dorsales océaniques où se crée la lithosphère océanique et qui permet, en compensation, de maintenir le globe terrestre dans ses dimensions supposées fixes. Le couple subduction-accrétion permet d'éviter les concepts de contraction du globe – en honneur autrefois pour expliquer la formation des chaînes de montagnes – ou d'expansion du globe, qui connut un regain d'intérêt avec la découverte des dorsales océaniques. Cette stricte compensation subduction-accrétion à l'échelle du globe, qui introduit beaucoup de cohérence dans le raisonnement géodynamique, n'est cependant pas rigoureusement démontrée. Ainsi, les quelques indications d'une variation des constantes géodésiques dans le passé géologique – par exemple des durées de la rotation journalière et de la révolution annuelle de la Terre – incitent à la prudence. Nous accepterons ici le postulat de la constance des dimensions du globe pour les accrétions et subductions actives dans les océans actuels vieux de moins de 200 millions d'années, sans faire d'hypothèse sur la validité de ce postulat pour les temps les plus anciens.
Fosses océaniques associées aux zones de subduction
Les fosses océaniques se définissent par leur profondeur, qui dépasse celle de la moyenne des grandes plaines abyssales (4 800 m), leur allongement sur plusieurs centaines de kilomètres et leur relative étroitesse, de quelques kilomètres à quelques dizaines de kilomètres. Les fosses océaniques ne constituent cependant qu'une très faible proportion des grands fonds : en effet, seulement 3 p. 100 d'entre elles dépassent 6 000 mètres de profondeur.
La subduction détermine deux catégories de dépressions sous-marines : les premières sont situées au niveau de la subduction elle-même ; ce sont les fosses proprement dites ; les secondes se placent au-dessus des plans de subduction, en arrière des arcs insulaires, et sont plutôt des fossés qui s'élargissent souvent en mers marginales. Ce sont les fosses de subduction qui atteignent les plus grandes profondeurs (près de 11 000 m dans la fosse des Mariannes).
Ces dispositifs constituent, à l'échelle du globe, deux ensembles principaux associant fosse de subduction, arc insulaire, fossé et/ou mer marginale (fig. 1) : un ensemble péripacifique, lié d'une manière plus ou moins complexe à la subduction de cet océan sous les marges des continents qui le bordent ; un ensemble téthysien, selon le nom de l'ancien océan aujourd'hui disparu qui, des Antilles à l'Indonésie, séparait les continents septentrionaux des continents méridionaux. Le premier ensemble est le plus riche, car l'état actuel du Pacifique est caractérisé par la subduction ; le second l'est moins car, en beaucoup de secteurs, la subduction y a laissé place à la collision entre continents ; ce n'est qu'en quelques régions, dont la plus spectaculaire est l'Indonésie, que la subduction est encore active. De plus, il faut ajouter un ensemble atlantique, relativement récent, marqué par la subduction des Antilles au niveau de la fosse (ou ride en d'autres endroits) de la Barbade et la subduction de l' arc de la Scotia dans l'Atlantique sud, que Eduard Suess reconnaissait déjà, en 1883, comme... Antilles australes !
Fosses de subduction
On distingue dans les fosses de subduction (fig. 2) un mur externe, qui correspond à l'endroit où la plaque océanique plonge vers la fosse, et un mur interne du côté de l'arc insulaire ; ce dernier est souvent divisé en terrasses parmi lesquelles on reconnaît généralement une terrasse supérieure, une terrasse moyenne et une terrasse inférieure. Mais ce dispositif peut être plus complexe ou au contraire plus simple, comme lorsque le mur interne n'est qu'une pente continue, plus ou moins abrupte, depuis un étroit plateau continental jusqu'à la fosse.
La fosse se situe à l'endroit où la plaque océanique « tombe » en subduction, entraînée par son propre poids et par la convection dans le manteau ; cela est dû au fait que, en se solidifiant, la croûte océanique acquiert une densité supérieure à celle de l'asthénosphère qui la supporte et qui est à l'état – partiellement – liquide. Il se développe ainsi, à mesure que la lithosphère océanique s'épaissit en s'éloignant du rift où elle est née, une tendance de plus en plus grande à l'effondrement, qui finit par se produire lorsque le couple de forces verticales devient trop grand. L'image qui suppose que la subduction pourrait résulter d'un enfouissement actif de la plaque océanique « poussée » à partir des zones d'accrétion n'est pas exacte : partout, la limite de la plaque océanique à l'entrée dans la fosse est marquée par des failles normales (directes) effondrant la croûte océanique ; parfois, ces effondrements sont spectaculaires, comme au niveau de la fosse du Japon, où le mont sous-marin Kashima est découpé par une faille puissante qui effondre son compartiment ouest de plus de 1 500 mètres dans la fosse du Japon, avant le contact de subduction (fig. 2). De telles observations ont été multipliées dans la fosse des Mariannes, la fosse des Tonga, etc. : c'est un système de failles normales qui forme le mur externe et limite la fosse du côté océanique.
La direction générale de la fosse n'est pas commandée par la structure de la plaque océanique, mais par celle de l'arc insulaire ; en effet, très souvent, la structure propre de la plaque océanique est oblique par rapport à la fosse. Ainsi en est-il dans la fosse d' Amérique centrale, divisée en une succession de bassins losangiques séparés par des seuils, qui correspondent respectivement à l'entrée en subduction des grabens de la plaque océanique pour les bassins, et des horsts intermédiaires pour les seuils ; les grabens et les horsts ont une direction oblique par rapport à la fosse, mais ils sont parallèles aux anomalies magnétiques liées à la genèse de la croûte océanique. De tels dispositifs ont été retrouvés dans de nombreuses fosses, qui sont en fait une succession de bassins.
La largeur de la fosse dépend de la vitesse et de l'inclinaison du plan de subduction, mais aussi de l'importance de la sédimentation. Lorsque les apports détritiques sont très importants – par exemple, aux latitudes élevées, à partir de l'alimentation glaciaire –, la fosse est noyée sous une couverture sédimentaire qui forme un fond plat plus ou moins large ; dans les régions où les apports sédimentaires sont moindres, les détails de la morphologie de la fosse apparaissent plus clairement comme les bassins successifs qui la constituent. Enfin, la fosse peut être réduite en largeur par des glissements de terrain sur la pente interne de l'arc insulaire, comme c'est le cas, par exemple, dans la fosse du Japon (fig. 2). Ainsi, de celle-ci à la fosse des Kouriles, on oppose une fosse large à fond plat remplie de sédiments (fosse des Kouriles) à une fosse étroite, formée de bassins successifs qui se relaient les uns les autres, réduite par les glissements de terrain sur la pente de l'arc insulaire (fosse du Japon).
Le mur interne de la fosse, insulaire ou continental, présente deux morphologies principales.
Dans un premier cas, lorsque le remplissage sédimentaire est important et l'inclinaison du plan de subduction faible, les sédiments de la fosse entrent difficilement en subduction : ils se décollent, se redoublent et s'accumulent en autant d'écailles, de la plus récente à la base vers la plus ancienne au sommet, en dessinant un prisme d'accrétion dont la structure évolue progressivement du bas vers le haut de la pente, depuis des plissements faibles jusqu'aux premiers écaillages d'unités qui vont s'empiler. Ce dispositif, qui a été reconnu dans les profils sismiques multitraces de nombreuses fosses, a été rencontré lors d'un forage situé dans la fosse de la Barbade au large des Antilles, et reconnu en plongée sous-marine par les submersibles Cyana dans la fosse hellénique et Nautile dans la fosse de Nankai, au sud du Japon (cf. fig. 1 de tectonophysique ; le profil sismique multitrace présenté sur cette figure montre que, si une partie des sédiments océaniques suit la croûte océanique dans la subduction, la partie superficielle se décolle, se plisse, se rompt en accidents tectoniques qui se superposent les uns aux autres en un prisme d'accrétion qui soulève la marge du Japon).
Dans un second cas, lorsque le remplissage sédimentaire est faible et l'inclinaison du plan de subduction forte, les sédiments sont entièrement subductés sous la marge insulaire – ou continentale – qui « rattrape » la dépression ainsi creusée en s'effondrant vers la fosse : la pente interne forme alors une série de gradins limités par des failles normales. Du point de vue géométrique, la fosse apparaît alors comme un fossé limité sur ses bords par des failles normales ; à ceci près que la constitution des murs interne et externe est totalement différente et que la plaque océanique passe sous l'arc insulaire : l'allure en fossé n'est donc qu'une apparence.
Toutes les fosses océaniques se placent entre ces deux extrêmes ; dans le cas le plus courant, les deux phénomènes coexistent et une partie de la couverture sédimentaire dessine un maigre prisme d'accrétion, tandis que l'essentiel passe dans la subduction. La situation d'une même fosse peut d'ailleurs évoluer axialement en fonction de son remplissage sédimentaire, ce qui semble être le cas de la fosse de la Barbade, qui passe à la ride du même nom vers le sud, là où les apports sédimentaires de l'Orénoque et de l'Amazone vont en augmentant.
Ainsi, dans les marges actives, les phénomènes de compression ou d'extension, suivant le cas, prédominent dans le mur interne de la fosse ; on les répartit donc en marges convergentes compressives – avec prisme d'accrétion – et marges convergentes extensives – sans prisme d'accrétion (cf. arcs insulaires).
Dans les unes comme dans les autres, les sédiments qui s'engagent dans la subduction sous la marge continentale – ou insulaire – sont l'objet de surpressions qui vont jusqu'à équilibrer la charge lithostatique (poids de la colonne de terrain située au-dessus de la subduction) ; cela explique la relative facilité du processus de subduction. Ces surpressions affectent les fluides interstitiels qui s'échappent au travers des terrains poreux et/ou fracturés ; chargés en méthane – gaz abondant dans les sédiments des fosses – et en sulfures, ils alimentent des chaînes chimiosynthétiques qui permettent la vie à de très grandes profondeurs. On a observé dans la fosse du Japon et la fosse des Kouriles des colonies de mollusques (Calyptogena), associées à des gastéropodes, des échinodermes, des crustacés, etc., par 6 000 mètres de fond (photographie no 9), profondeur qui est proche de la limite de plongée des submersibles actuels (6 500 m pour le Shinkai 6500 japonais) ; tout conduit à penser que ces faunes existent à de plus grandes profondeurs encore. Avec les rifts médio-océaniques, les fosses océaniques sont donc le siège de la vie fixée la plus profonde de la planète.
Autres fosses associées à la subduction
Les fossés qui naissent au-dessus des plans de subduction, en arrière des arcs insulaires, représentent le premier stade de la naissance des mers marginales. Un cas spectaculaire est celui du fossé d'Okinawa, en arrière de l'arc des Ryūkyū, avec sa forme en graben limité par des blocs basculés : l'expansion n'y est qu'à ses débuts et ne semble avoir engendré une croûte océanique que très localement. Il en va de même pour la fosse de Crète, au nord de l'île éponyme, au-dessus et en arrière de la subduction de l'arc égéen. D'une façon plus générale, c'est ainsi que naissent les mers marginales – du moins certaines d'entre elles –, dont la nature de fosse s'atténue à mesure qu'elles s'élargissent.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean AUBOUIN : membre de l'Institut
Classification
Médias
Autres références
-
AMÉRIQUE (Structure et milieu) - Géologie
- Écrit par Jean AUBOUIN , René BLANCHET , Jacques BOURGOIS , Jean-Louis MANSY , Bernard MERCIER DE LÉPINAY , Jean-François STEPHAN , Marc TARDY et Jean-Claude VICENTE
- 24 173 mots
- 23 médias
...est-pacifique prit sa position actuelle subméridienne (vers 40 Ma), sa caractéristique principale fut son obliquité par rapport aux deux Amériques. La subduction était alors permanente au long de l'Amérique du Sud, avec trois secteurs différents correspondant aux plaques Antarctique, de Nazca, et des... -
ANDES CORDILLÈRE DES
- Écrit par Jean-Paul DELER et Olivier DOLLFUS
- 10 966 mots
- 5 médias
...410 de latitude sud) est celui d'une chaîne « liminaire », c'est-à-dire édifiée sur une marge continentale active où se produit la subduction de la plaque océanique pacifique sous la plaque continentale sud-américaine. Le « cycle andin », marqué par le rapprochement des deux plaques... -
ANDINE CHAÎNE
- Écrit par François MÉGARD
- 5 726 mots
- 4 médias
...fonctionnement actuel et néogène des Andes, que ce soit du point de vue de la déformation ou de celui du magmatisme, peut être mis en relation directe avec la subduction de la plaque océanique de Nazca – plancher de la plus grande partie du Pacifique sud-est – sous la plaque sud-américaine. En surface,... -
ANTARCTIQUE
- Écrit par Pierre CARRIÈRE , Edmond JOUVE , Jean JOUZEL , Gérard JUGIE et Claude LORIUS
- 16 485 mots
- 24 médias
...suivra, tandis que l'Antarctique migrera lentement vers sa position actuelle, centrée sur le pôle Sud. Le seul obstacle à cette dynamique semble avoir été la subduction de la plaque Pacifique, qui a engendré les Andes d'Amérique latine et d'Antarctique, séparées au Tertiaire par le détroit de Drake, au sud... - Afficher les 48 références
Voir aussi
- ABYSSALE FAUNE
- ANOMALIES, géophysique
- FLUX GÉOTHERMIQUE
- SCOTIA ARC DE LA ou ANTILLES AUSTRALES
- FOSSES OCÉANIQUES
- GRABEN ou FOSSÉ D'EFFONDREMENT
- OROGENÈSE
- SISMOLOGIE
- CORDILLÈRES, géomorphologie
- PROFONDEURS OCÉANIQUES, biologie
- AMÉRIQUE CENTRALE
- ANDÉSITE LIGNE DE L'
- KOURILES FOSSE DES
- JAPON FOSSE DU
- MÉTAMORPHIQUES ROCHES
- SÉDIMENTATION MARINE
- MÉTAMORPHISME
- PENDAGE
- SOUS-MARINE GÉOLOGIE
- ASTHÉNOSPHÈRE
- MÔLE ou HORST
- FOYER ou HYPOCENTRE, sismologie
- BENIOFF PLAN DE ou PLAN DE WADATI-BENIOFF
- SISMIQUES ZONES
- CROÛTE OCÉANIQUE
- ÉCAILLES, tectonique
- BOUGUER ANOMALIES DE
- MAGMATIQUES ROCHES
- CHAÎNES DE MONTAGNES
- GLAUCOPHANE
- COLLISION, géologie
- CROÛTE CONTINENTALE
- PLAQUES, géophysique
- BOUES, sédimentologie
- BENTHIQUE VIE
- BARBADE FOSSE DE LA
- PRISME D'ACCRÉTION, géologie
- ACCRÉTION, géologie
- RIDES OCÉANIQUES
- GÉOLOGIE HISTOIRE DE LA