SALONS, histoire de l'art
Les Salons, définis comme des manifestations annuelles lors desquelles des artistes présentent au public en un même lieu des œuvres préalablement examinées et acceptées par un jury, semblent aujourd'hui se confondre avec l' histoire de l'art dit officiel. La contestation du rôle de l'Académie, la volonté d'indépendance ont effectivement entraîné l'éclatement du Salon, et par conséquence la multiplication des manifestations permettant aux divers artistes « refusés » d'atteindre le public. Plus que jamais la liberté et la diversité sont la loi et tout retour en arrière apparaît impossible. Le fait n'est pas contestable, mais demande une analyse compréhensive. Les Salons ont été déjà au xviiie et surtout au xixe siècle la manifestation artistique essentielle, et précisément le révélateur de tensions et de conflits dont ils furent l'occasion. La critique d'art, dans la mesure où son exercice fondamental était le compte rendu des Salons, contribuait à l'importance du phénomène et l'entourait d'un climat polémique qui contraste paradoxalement avec l'officialité proclamée ; par là même les Salons offrent à l'historien une référence privilégiée. À une histoire négative, honorant les exclus et cherchant hors des Salons la réalité de la vie artistique (séquelles des batailles romantique, réaliste, impressionniste, cubiste), les historiens d'art moderne, sensibles à l'importance des matériaux rassemblés, auraient tendance à retrouver grâce aux Salons la complexité et la réalité de la vie artistique.
L'Ancien Régime : les Salons corporatifs
L'institution des Salons est une conséquence directe de la création de l'Académie (1648). Celle-ci, d'abord en subordonnant selon l'article 18 des statuts de 1663 la délivrance des lettres d'académicien à l'acceptation d'un morceau de réception, héritier du « chef-d'œuvre », conservé dans ses locaux, ensuite en créant une école, enfin en soumettant au concours des sujets choisis par elle, devait normalement prouver par l'exposition de ces œuvres la qualité de ses membres et de son enseignement, et justifier ainsi le privilège qui leur permettait d'échapper au règlement de la maîtrise. L'article 25 des statuts de 1663 prévoit une « fête de l'Académie au premier samedi de juillet où chacun des officiers et académiciens sera obligé d'apporter quelque morceau de son ouvrage pour servir à décorer le lieu de l'Académie quelques jours seulement et après les remporter si bon leur semble ». En 1664 et 1665 les difficultés furent grandes et le résultat, semble-t-il, peu convaincant. Le 9 janvier 1666, Colbert ordonne que « tous les deux ans, dans un des jours de la semaine sainte, chacun apportera son ouvrage », et l'exposition d'avril 1667, tenue dans la grande salle et la cour du palais Brion et visitée par Colbert, peut être considérée comme la première. Des témoignages décrivent le succès, la presse, le nombre élevé des œuvres exposées « dans toutes les diverses parties de la peinture, je veux dire l'histoire, le portrait, le paysage, les mers, les fleurs, les fruits » (H. Testelin).
Les académiciens restent néanmoins réticents à cette obligation et, sous le règne de Louis XIV, on ne compte que dix expositions (1667, 1669, 1671, 1673, 1675, 1681, 1683, 1699, 1704, 1706). Le hiatus est dû pour une part à la pauvreté de l'Académie, mais aussi au moindre intérêt montré par Louvois, à la différence de Colbert, aux solennités de cette institution. Le Salon de 1673 est mémorable : la date avait été repoussée d'avril à août pour coïncider avec la fête du roi, le 25 août, ouvrant ainsi une longue tradition ; il bénéficie du premier livret imprimé, rareté bibliophilique connue en quelques exemplaires. Cinquante-quatre académiciens sur une centaine avaient exposé, et Le Brun montrait les Batailles d'Alexandre.
La Régence est une période de silence, et il faut attendre 1725 pour retrouver l'institution. De 1725 à 1773 on compte vingt-six expositions (1725, 1727, puis des expositions annuelles de 1737 à 1743, de 1745 à 1751, bisannuelles de 1753 à 1773). À partir de 1737, date de la quatrième exposition à connaître un livret, toutes bénéficient de cette innovation capitale qui permet de connaître participants et œuvres exposées. Les expositions ont lieu généralement dans le salon Carré du Louvre et pour partie dans la galerie d'Apollon ; la moyenne des exposants est d'une cinquantaine, et celle des œuvres de 250. À la fin du règne de Louis XV, on compte une nette augmentation des œuvres ; par exemple, en 1773, 60 exposants (38 peintres, 12 sculpteurs, 10 graveurs) présentent 479 sujets (331 peintures, 65 sculptures, 80 gravures, 3 tapisseries). Sous le règne de Louis XVI, de 1775 à 1791, se succèdent sans interruption neuf expositions bisannuelles, ouvertes, comme depuis 1746, le 25 août, jour de la Saint-Louis, closes le 25 septembre suivant. Le nombre des œuvres présentées reste à peu près constant : entre 70 et 80 exposants, environ 500 œuvres. Enfin, en 1746, une commission, première manifestation de ce qui est devenu le jury, avait été choisie parmi les officiers de l'Académie pour vérifier la qualité des ouvrages ; en 1777, on lui demande d'apporter à l'examen des œuvres la plus grande sévérité et de veiller à la décence des sujets. L'exposition privée d'une corporation privilégiée, celle des Messieurs de l'Académie royale, comme le spécifiaient les livrets et les Salons du xviie et du xviiie siècle, fondent une coutume, celle du Salon officiel, témoin de la qualité des arts en France. En effet, accueillies au Louvre, honorant la fête du roi, les œuvres des académiciens « faites pour contribuer à la majesté des temples et à la magnificence des palais » (livret de 1704) se doivent d'être « dévoilées aux yeux du public » et ainsi « soutiennent la supériorité présente de l'école française sur toutes celles de l'Europe » (Salon de 1745). Mais ce privilège lentement justifié de l'Académie, compensant le fait qu'il était prescrit à tout « membre du corps académique, sous peine d'être exclu, de s'abstenir de tenir boutique ouverte pour y étaler ses ouvrages, de les exposer aux fenêtres ou autres endroits extérieurs du lieu de sa demeure » (Mémoires pour servir..., t. I), ne pouvait dans son exclusivité arrêter les autres artistes et devait même susciter la concurrence. L'Académie de Saint-Luc, tardive métamorphose, en 1672, de l'ancienne Communauté des maîtres peintres et sculpteurs de Paris , et moyen pour cette dernière de rivaliser avec son ennemie de fondation, l'Académie royale, créa ainsi ses expositions. Le 20 février 1751 s'ouvre sur l'ordre du marquis de Voyer la première des sept expositions (1751, 1752, 1753, 1756, 1762, 1764, 1774) qui s'opposèrent jusqu'en 1776, date de la dissolution de la communauté, à celles de l'Académie. Tenues tour à tour aux Augustins, à l'Arsenal, à l'hôtel d'Aligre puis à l'hôtel Jabach, elles étaient plus qu'honorables, d'après le témoignage des livrets conservés. 186 artistes, selon le compte de Jules Guiffrey, exposèrent, de 1751 à 1774, 1 252 œuvres. Celle de 1752 compte 141 numéros, celle de 1753, 221, et celle de 1774, 228, nombres tout à fait comparables à ceux des expositions des Messieurs de la Royale. Les portraits sont nombreux, ce qui s'explique par le fait que les grandes commandes étaient surtout réservées aux peintres du roi. Enfin les noms des exposants ne sont pas si mineurs : le paysagiste Moreau l'Aîné, le sculpteur Claude François Attiret, les Eisen, Sauvage, le spécialiste des grisailles, etc. ; et Guiffrey, comparant les deux Salons, n'hésite pas à conclure que ceux de l'Académie de Saint-Luc montrent « plus de variété, plus de verve, plus de jeunesse peut-être et d'audace que [...] leurs voisins ».
Reste encore un type d'exposition, anarchique et libre, qu'il ne faut pas, bien au contraire, sous-estimer ; ce sont celles dites de la Jeunesse, tenues place Dauphine et sur le Pont-Neuf. Là, le jour de la Fête-Dieu, « le long des maisons [...] les peintres amateurs de Paris, les jeunes, ceux qui n'aspiraient que de loin aux honneurs de l'Académie, exposaient, pendant une heure ou deux seulement, les meilleurs tableaux de leur atelier » (G. Lenôtre-Gosselin). Les œuvres peuvent assurément y être de qualité, et Chardin, qui avait été reçu en 1724 maître peintre de l'Académie de Saint-Luc, y expose en 1728 plusieurs toiles, dont la Raie (Louvre). Le Mercure de Francene manque pas de signaler ces expositions qui, dans la tradition de celles de la Foire Saint-Germain, témoignent de la nécessaire liberté et de la nécessité de comparaison auxquelles aspirent les artistes, même sous le règne des corporations.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bruno FOUCART : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
Médias
Autres références
-
ACADÉMIES
- Écrit par Nathalie HEINICH
- 5 954 mots
...amateurs privés. Ceux-ci en effet se multipliaient, qu'ils fussent collectionneurs, commanditaires ou simples connaisseurs. Ces derniers apparurent avec les salons, organisés régulièrement à partir du début du xviiie siècle, et qui avaient notamment pour fonction de compenser l'interdiction d'exposer... -
ART (Aspects culturels) - Public et art
- Écrit par Nathalie HEINICH
- 6 256 mots
- 1 média
...lieux publics ou semi-publics, et l'achat, visant à orner des cabinets privés, apparaît une troisième phase : le développement du public dans le cadre des Salons du xviiie siècle, créés à l'origine pour compenser l'abandon de la vente en ateliers par les peintres et sculpteurs académiciens, désireux de rompre... -
BAZILLE FRÉDÉRIC (1841-1870)
- Écrit par Alain MADELEINE-PERDRILLAT
- 2 465 mots
- 5 médias
Au Salon de 1868, deux toiles de Bazille sont acceptées, Réunion de famille (1867) et Pots de fleurs (1866, collection particulière). Dans un article publié sur ce Salon par L'Événement illustré du 24 mai 1868, Émile Zola, après un long éloge de Monet, consacre quelques lignes au premier... -
CAILLEBOTTE GUSTAVE (1848-1894)
- Écrit par Éric DARRAGON
- 2 408 mots
- 1 média
Le refus des Raboteurs de parquets par le jury du Salon en 1875 accélère l'adhésion du peintre aux idées de Degas et du critique réaliste Edmond Duranty exprimées en 1876 dans son manifesteUne nouvelle peinture : il s'agit de représenter l'individu dans la vérité de son environnement et de... - Afficher les 33 références
Voir aussi