Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BULTMANN RUDOLF (1884-1976)

La démythologisation

Tout l'élément miraculeux des Évangiles n'est que mythologie. Il faut donc, non pas le démythifier (ce qui serait le supprimer, comme le fait l'athéisme), mais le démythologiser, c'est-à-dire l'interpréter. Le mythe est, en effet, une « formation de compromis » entre le divin et l'humain. L'intention profonde du mythe est juste : il veut nous parler de Dieu. Mais il en parle très mal : en dégradant l'invisible en visible. Par exemple, les récits des apparitions pascales ne sont pas faux dans leur visée profonde. Ils entendent dire que la mort de Jésus a été en réalité son triomphe. Mais ils mythologisent, c'est-à-dire « rationalisent » la résurrection (le mot grec logos, qui est l'une des composantes du terme « mythologiser », signifie « raison »). Ils en font un objet de la raison humaine (dans le cas présent la raison de l'homme antique si friand de « signes »). Le mythe ne détruit pas mais altère la foi. Comme le dit Bultmann, « il objective l'Au-delà en un en deçà ». La démythologisation n'est donc pas seulement une exigence de l'homme moderne (qui ne peut plus croire, à juste titre, en l'univers miraculeux du Nouveau Testament), c'est avant tout une exigence de la foi elle-même. En effet, une conception et une naissance miraculeuses, un tombeau vide avec des anges, un être ressuscité qui apparaît portes closes, à supposer qu'elles puissent jamais exister, sont des réalités intramondaines qui n'ont rien à faire avec Dieu. Croire en Dieu sur le vu de tels phénomènes – même s'ils n'étaient pas légendaires – serait croire seulement en l'homme. Une telle « foi » serait une foi « humaine, trop humaine ».

On oublie souvent que Bultmann attache la même importance à l' ecclésiologie qu'à la christologie : l'Église est l'incarnation continuée, elle est – dit-il – « co-constituante » de l'événement du salut. Si la révélation était une réalité objective, n'importe qui pourrait y accéder et point ne serait besoin d'Église. Mais, comme elle est l'altérité radicale que nous avons dite, la communication de la Parole fait partie de l'essence de la Parole, la transmission de l'altérité est de la nature de l'altérité. L'humanité d'aujourd'hui ne peut atteindre Jésus par un « pèlerinage aux sources », mais uniquement dans l'Église par laquelle le Seigneur glorifié continue à répandre, comme le dit saint Paul, la vie et la mort éternelles. On voit immédiatement qu'il ne faut pas plus objectiver l'Église que Jésus : tout ce qui en elle est visible – par exemple son organisation monarchique, collégiale ou démocratique – est par définition indifférent à la foi. Il n'y a pas de magistère infaillible, pas de ministres revêtus d'un caractère sacré, pas de « dogmes », etc. Tout comme Jésus, l'Église est l'incognito de Dieu et ses structures mondaines n'ont aucune importance. Son essence eschatologique seule compte.

On comprend sans peine la tempête que souleva dans le monde chrétien le programme de Bultmann. Mais l'essentiel est de noter qu'on ne lui opposa rien de nouveau : on se contenta de défendre la tradition.

Les reproches les plus sévères vinrent naturellement des groupes les plus attachés à la lettre de l'Écriture. Selon les critiques catholiques notamment, l'élément miraculeux du Nouveau Testament fait bel et bien partie de la révélation proprement dite : tous les phénomènes surnaturels que nous avons énoncés précédemment (la conception virginale, etc.) sont autant d'objets de foi. Il n'y a là aucune dégradation du divin.

Le protestantisme se montra plus accueillant, car son fondateur – Luther – avait déjà opéré un[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

André MALET. BULTMANN RUDOLF (1884-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BIBLE - L'étude de la Bible

    • Écrit par André PAUL
    • 6 436 mots
    ..., trad. fr., Paris, 1978), ne doit plus être présentée comme étant celle des champs, opposée à celle des villes. Quant à la distinction faite par Bultmann, à l'intérieur des Évangiles synoptiques, entre traditions ou couches palestiniennes et traditions ou couches hellénistiques, elle n'a...
  • DIEU - L'affirmation de Dieu

    • Écrit par Claude GEFFRÉ
    • 7 962 mots
    ...un objectivisme théologique, mais au sens où, par la Révélation, Dieu se donne vraiment à l'homme comme un objet à connaître. Cependant, c'est surtout Rudolf Bultmann qui a montré comment la connaissance de Dieu échappe au schéma « sujet-objet » de la pensée métaphysique. Selon lui, parler « sur » Dieu...
  • FORMES MÉTHODE DE LA CRITIQUE DES

    • Écrit par André PAUL
    • 959 mots

    Dans les années 1920 s'est développée, en Allemagne, une méthode d'approche des Évangiles synoptiques, la Formgeschichtliche Methode. Elle n'était pas totalement neuve : elle avait été inaugurée, au début du xxe siècle, à propos de la Genèse et des Psaumes, par le grand...

  • HARNACK ADOLF VON (1851-1930)

    • Écrit par Jean HADOT
    • 1 773 mots
    ...Welt, se détacha progressivement de lui pour revenir à une « dogmatique chrétienne » qui était aux antipodes des thèses de Harnack. Quant à Rudolf Bultmann, s'il semble avoir puisé l'idée du Kérygme dans la notion d'« essence du christianisme », il lui donne un contenu infiniment plus riche...

Voir aussi