ROBOTS
Les outils et les machines ont souvent été pensés depuis longtemps, mais leur réalisation physique ne pouvait alors aboutir en raison notamment de l'absence de techniques ou matériaux disponibles pour les fabriquer ou pour dépasser le stade de la maquette. Il en est ainsi de l'idée de robot qui n'a trouvé son nom que dans les années 1920 (comme conséquence du succès de la pièce de théâtre du tchèque Karel Chapek : R.U.R. ou Rossum's Universal Robots), pour désigner alors de petits êtres artificiels anthropomorphes répondant parfaitement aux ordres de leurs maîtres, et sa première réalisation industrielle vers 1960 (cf. automate).
D'un point de vue scientifique, parmi les nombreuses définitions possibles du robot, on peut retenir qu'il s'agit d'une machine dont l'état de perfection future lui permettra de rendre tous les services qu'attend un homme d'un autre homme en matières d'actions matérielles. Et ce service pourra être rendu par la machine soit de manière complètement autonome (robot de substitution à l'homme), soit en collaboration avec un homme (robot de coopération). Le chemin est encore long avant d'atteindre la perfection souhaitée, car la machine doit associer des propriétés physiques complexes avec des propriétés intellectuelles non moins compliquées. Cependant, les verrous scientifiques et technologiques sautent les uns après les autres et on peut être très optimiste sur l'aboutissement de cette recherche.
Ce qui crée une sorte de rupture entre les machines « classiques » (machine à coudre, moissonneuse-batteuse...) et le robot, c'est l'inspiration anthropomorphe qui préside à la conception de ce dernier, laquelle s'est d'abord manifestée par une volonté d'imiter le bras humain avec ses nombreuses articulations autorisant des gestes variés pour manipuler des objets. Cette recherche de performance manipulatoire correspondait essentiellement à un besoin pratique : d'une part, la manipulation de produits dangereux à distance, à la suite de la découverte de la radioactivité ; d'autre part, la nécessité d'améliorer les transferts de pièces d'un poste à l'autre dans les industries de production.
La recherche sur ces nouvelles machines a engendré deux conséquences principales. D'un coté, elle est devenue une nécessité. En effet, ce dont on a besoin n'est pas une machine qui accomplit des gestes comparables à ceux du bras humain, c'est une machine qui fait œuvre utile en saisissant convenablement des pièces dans un lieu variable et en les reposant tout aussi correctement dans un autre endroit, lui aussi évolutif d'une saisie à l'autre. Un tel problème qui ne se posait pas avec les machines « classiques ». D'un autre coté, l'évocation d'un aspect anthropomorphique fait rapidement rêver d'aller plus loin dans cette imitation humaine, dans le contexte d'une technologie qui pourrait rapidement ne rien se refuser.
Depuis que le robot a donné lieu à une approche scientifique, après la Seconde Guerre mondiale, on peut résumer l'histoire de ses développements en deux périodes principales. Tout d'abord, l'époque de la robotique industrielle, qui s'étend jusqu'à la fin des années 1980. Le robot industriel, caractérisé par son implantation à poste fixe, devient alors un outil commun répondant correctement aux besoins de l'industrie et ses perfectionnements, continus depuis lors, peuvent être considérés comme des améliorations utiles mais mineures comparées aux progrès décisifs enregistrés antérieurement. La seconde période, depuis 1990, a vu la recherche se focaliser sur les robots mobiles que l'on peut répartir en deux grandes tendances :
– ceux dont le système de locomotion est un véhicule (terrestre, aérien, sous-marin etc.)... L'objectif a trait à l'exécution de déplacements en mode automatique afin de reconnaître des cibles, inspecter des installations, déminer, forer... ou simplement se déplacer comme les voitures à guidage automatique. Ces véhicules peuvent être porteurs ou non de différents outils d'action : des robots « classiques », des machines spéciales, des armes... Si l'anthropomorphisme est présent, il concerne les propriétés de perception et d'intelligence ou de raisonnement de la machine et ne repose pas sur une évocation de l'homme dans son apparence physique.
– les robots humanoïdes et animaloïdes (ou zoomorphes) qui tentent de reproduire des comportements humains ou animaux en conservant une évocation de l'aspect physique de l'homme ou de l'animal en question.
Certes, la recherche sur les robots mobiles date de l'apparition de la robotique scientifique (par exemple le robot Shakey du Stanford Research Institute, vers 1970), mais elle restait handicapée dans ses résultats par la faiblesse des technologies disponibles et, par voie de conséquence, par l'absence d'applications pratiques pour lesquelles ce type de robot aurait pu donner satisfaction et trouver une promotion.
En ce début de xxie siècle, le tournant essentiel de la recherche en robotique se rapporte à la préoccupation d'une meilleure connaissance de l'homme, tant dans son psychisme que dans son corps, dans son comportement en société ou au travail, dans ses relations avec les machines, afin de transposer ces connaissances sur les robots pour trouver la stabilité et la convivialité avec les machines et préciser le rôle et la place adéquats de ces deux partenaires, sachant par ailleurs que la technologie disponible et toujours en progrès autorise de nouvelles ambitions. C'est ce qui explique que la biorobotique ait le vent en poupe et qu'une invasion de robots à l'image de celle, récente, de l'ordinateur portable ne soit plus à exclure dans quelques lustres.
Robotique
Dans les années 1970, quand les chercheurs ont commencé à réfléchir sur la conception de robots, on appelait « robotique » la science des robots et/ou l'art de concevoir et fabriquer des robots. Les succès des robots industriels, qui travaillaient initialement en poste isolé et qui ont été intégrés à des chaînes de production comme des machines parmi d'autres, ont conduit le public à élargir le sens du terme « robotique » et à le rendre désormais presque synonyme d'automatisation. Le correspondant de robotique devrait naturellement être « automatique » mais ce n'est pas le cas dans le langage courant. Pour compenser ce hiatus se sont créés le mot « robotisation » et le verbe « robotiser » pour désigner la plupart des automatisations et leur mise en œuvre, même en l'absence de véritables robots. Dans certains champs d'applications, des mots calqués sur robotique sont apparus. Il en est ainsi de « domotique » qui désigne tout ce qui concerne l'automatisation dans l'habitat ou « productique » pour tout ce qui a trait aux moyens de production.
Aujourd'hui, la robotique est donc l'art d'automatiser des systèmes plus ou moins complexes mais en s'appuyant sur le savoir-faire acquis par les études sur la conception de robots, savoir-faire issu des développements d'une branche de l'automatique générale. En effet, on constate a posteriori que la structure d'une machine ou d'un système n'a pas besoin d'adopter la forme physique de ce qu'on appelle généralement robot pour que son contrôle adopte les mêmes composants que ces machines, à savoir : des capteurs internes pour la régulation, des capteurs externes pour connaître l'environnement, des moyens d'action motorisés, ainsi qu'une informatique de commande pouvant faire appel à la programmation et aux techniques de l'intelligence artificielle par exemple (cf. 2. Le robot industriel). Tous ces composants et leurs actions peuvent être distribués dans l'espace au lieu d'être rassemblés ou de provenir d'une seule structure. Par ailleurs, une collaboration de divers ensembles est possible aboutissant donc à un système robotisé (on dit aussi système robotique) plus ou moins grand ( les ateliers flexibles en sont un bon exemple).
Contrairement à l'évolution de la machine « robot », la robotique ne se dirige pas vers l'imitation du vivant ou vers son intégration (en dehors d'opérateurs surveillant le système ou intervenant sporadiquement sur ce dernier). Elle offre des solutions à des problèmes concrets par des moyens mécaniques ou informatiques sans inspiration anthropomorphique (pour le moment).
Quoique les applications de la robotique soient nombreuses, c'est surtout pour les opérations effectuées dans les usines qu'elle trouve son expression et son nom adapté à travers la productique. Celle-ci consiste à associer divers types de machines, dont des robots, afin d'améliorer la productivité. Cette association peut se faire de diverses manières en fonction des opérations. Par exemple, dans le montage d'un ensemble complexe comme celui qui conduit à la réalisation d'un véhicule, on fera les opérations successives en série (bien que plusieurs chaînes puissent travailler en parallèle) et chaque poste de travail sera doté de l'outil convenable, dont des robots qui travaillent soit automatiquement soit commandés par un opérateur. Pour la fabrication de pièces manufacturées (par usinage, pliage, formage, perçage etc.), on trouvera des cellules avec quelques robots pour les opérations de manutention et de positionnement de pièces et des machines à commande numérique pour l'usinage par exemple. La cellule robotisée est par essence flexible, c'est-à-dire qu'elle permet de fabriquer (par lots peu importants) des pièces différentes mais nécessitant le même type d'opérations avec des paramétrages adaptés suivant la pièce. Une cellule peut comporter des opérateurs pour des tâches manuelles ou bien être entièrement automatisée. Dans ce dernier cas (FMS, Flexible Manufacturing System), se pose le problème de la programmation du système. On peut aujourd'hui faire la conception d'une pièce et programmer sa fabrication sur un système adéquat en s'aidant de l'ordinateur ( C.A.O., Conception assistée par ordinateur, et C.F.A.O., Conception et fabrication assistées par ordinateur, ou C.I.M., Computer Integrated Manufacturing). Le programme généré par C.F.A.O. est directement celui ou le même (émulateur) que celui qui va commander les machines du système de fabrication.
Naturellement, la conception d'un système de C.F.A.O. ne se limite pas à pouvoir réaliser un ensemble qui fonctionne en étant fiable et sûr. Les impératifs économiques sont les premiers qui s'appliquent pour, d'abord, faire le choix de ce mode de fabrication, puis pour déterminer sa structure et son organisation afin qu'il soit rentable. Cette évaluation se fait par des approches qu'on nomme « techniques de planning ».
De tels principes généraux ne se limitent pas aux industries mécaniques et à l'automobile. Ils sont utilisés, par exemple, dans la production d'appareils électroménagers, dans l'industrie des semiconducteurs, dans celle du meuble, de l'agro-alimentaire, de la chimie, des médicaments dans la construction de bateaux ou d'avions... En fait, dès qu'il y a production de biens, et que c'est possible et rentable, on trouve partout l'automatisation sous sa forme de robotisation parce qu'elle amène une flexibilité de la production (c'est-à-dire l'élaboration, avec le même système de production, de produits différents mais voisins) et l'adaptation en temps, volume et nature du produit à la demande.
La robotique, depuis la fin du xxe siècle, a tenté de sortir des usines pour s'insérer dans les services : transport de matériels dans les hôpitaux, sécurité et surveillance, nettoyage des sols, assistance chirurgicale (cf. encadré Robotique appliquée et chirurgie), jeux et distractions... Les succès sont encore limités car une caractéristique du service est que la machine qui le rend doit être mobile, ce qui pose des problèmes de reconnaissance de l'environnement qu'on ne sait résoudre que dans des cas particuliers ou sous des contraintes qui permettent de se passer de cette fonction. C'est cependant ce secteur qui devrait fortement se développer dès que certains verrous scientifiques auront été levés (cf. 3. Le robot mobile, 4. Biorobotique).
Enfin, quant aux dimensions, on observe qu'à partir du robot « de base » transportant une dizaine de kilogrammes dans un volume d'1 mètre cube environ, on est allé vers « le haut » avec des robots transportant jusqu'à environ une tonne sur des distances de plusieurs mètres, et vers « le bas » en élaborant de tout petits robots pouvant contrôler des déplacements de l'ordre du micromètre dans quelques centimètres cubes, constituant ainsi ce qu'on nomme la microrobotique. On a encore tenté de réduire d'un facteur 10 à 100 ces paramètres pour arriver à la nanorobotique (cf. encadré La microrobotique) qui se fixe comme objectif la maîtrise du nanomètre (10—9 m, soit un millième de micromètre). À ce stade, on ne peut plus concevoir les robots à partir des principes de la mécanique classique. Ainsi, les forces prédominantes ne sont plus électromagnétiques mais font appel aux forces électrostatiques et aux forces de Van der Waals. En conséquence, la conception de ces machines relève de la microélectronique avec, par exemple, des actionneurs taillés dans la masse de silicium avec un rotor de quelques dizaines de micromètres (cf. microélectronique). Parmi les applications visées, on peut noter celle de l'envoi et du guidage de ces nanomachines dans le corps humain pour aller déposer des médicaments sur des zones très précises (cf. microsystèmes et nanotechnologies).
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Écrit par
- Philippe COIFFET : membre de l'Académie des technologies, ancien directeur de recherche au C.N.R.S.
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