AUTO-ORGANISATION
Dans les artefacts, par définition construits par l'homme en vue de fins et suivant des plans déjà définis, la signification des structures et des fonctions est définie par rapport à ces fins. C'est dire que, comme ces fins elles-mêmes, extérieures à la machine qu'elles orientent, la signification est posée à l'avance, produite par le concepteur ou le constructeur de la machine. Les questions de signification ne se posent donc pas explicitement dans l'analyse de la structure et du fonctionnement des machines artificielles. C'est pourquoi la signification de l'information n'est en général pas prise en compte explicitement dans l'analyse des systèmes artificiels, ni dans les mesures classiques de complexité algorithmique, ni dans les mesures de diversité ou de complexité structurale par la fonction H de Shannon.
Dans les systèmes naturels, bien au contraire, la notion même d'auto-organisation implique une origine interne, non seulement pour les structures mais pour les significations fonctionnelles des comportements produites par ces structures. C'est ce qu'avait vu Kant dans la Critique du jugement, quand il définissait les organismes vivants par leur « capacité de finalités internes ». Dans le contexte vitaliste de son siècle, il attribuait cette capacité à une intelligence supérieure orientant les phénomènes de la vie, de façon téléologique, c'est-à-dire à l'aide de causes finales, à la façon d'une intelligence humaine. Au contraire, les théories modernes de l'auto-organisation s'attachent à montrer comment des structures et des fonctions complexes peuvent être produites mécaniquement, de façon causale, à partir de contraintes physico-chimiques locales et dans certaines conditions d'observation et de mesure.
Il en résulte que la question de la nature et de la production des significations dans les machines auto-organisées que constituent les organismes – ou leurs simulations informatiques plus ou moins grossières et approchées – ne peut pas être éludée. C'est même elle qui peut nous servir à établir, par souci de clarification, des distinctions nécessaires et une classification des différentes sortes d'auto-organisation que nous rencontrons dans la littérature des sciences cognitives.
Nous distinguerons d'abord deux sortes d'auto-organisation, l'une dite « au sens faible », et l'autre « au sens fort ». Ensuite, nous distinguerons, à l'intérieur de la seconde sorte, les systèmes auto-organisateurs non intentionnels et intentionnels, ces derniers n'étant pleinement réalisés que dans l'espèce humaine, même si l'on peut en trouver des formes simplifiées dans des espèces animales voisines.
Auto-organisation au sens faible
Des exemples d'auto-organisation au sens faible sont fournis par la plupart des applications du calcul par réseaux neuronaux aux techniques d'intelligence artificielle destinées à fabriquer des machines à apprendre et à mémoire distributive (cf. F. Fogelman-Soulié, 1991 ; T. Kohonen). Ce calcul est effectué en parallèle par un grand nombre d'unités, dites neurones formels, qui effectuent chacune des opérations élémentaires simulant de façon très simplifiée le fonctionnement électrique de neurones, d'où leur nom. Mais ces unités en grand nombre – au moins plusieurs milliers – sont interconnectées dans des architectures particulières de réseaux, qui acquièrent de ce fait des propriétés d'apprentissage non programmé et de mémoire associative. Ils sont capables, par exemple, de compléter et de corriger des formes imparfaites au moment de leur rappel en mémoire, reproduisant ainsi certains aspects de nos activités d'apprentissage et de rappel. En cela, ces réseaux sont beaucoup plus performants que les ordinateurs déterministes[...]
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Écrit par
- Henri ATLAN : professeur émérite de biophysique aux universités de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie et de Jérusalem, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris, directeur du Centre de recherches en biologie humaine, hôpital Hadassah, Jérusalem (Israël)
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