REPRODUCTION SOCIALE
La notion de reproduction sociale traduit l'idée selon laquelle toute société se reproduit ; c'est une évidence au niveau démographique, ça l'est aussi en ce qui concerne ses structures, même si la reproduction ne se fait pas toujours à l'identique. Très tôt, les premiers sociologues (Auguste Comte, Émile Durkheim, Herbert Spencer) ont emprunté aux sciences de la nature, en particulier à la biologie, leur conception de la société ; celle-ci est alors pensée comme un organisme vivant, qui doit assurer sa reproduction. Dans cette perspective, qui débouche sur ce qu'on a appelé le fonctionnalisme, c'est un ordre social, un mode d'intégration, qu'il s'agit de reproduire. À la même période, Karl Marx donne une acception plus strictement sociologique à ce concept de reproduction, en soulignant que ce sont des rapports sociaux, des situations conflictuelles, qui se trouvent reproduits.
Répartir les places
Au xx e siècle, dans la mouvance de philosophes comme Louis Althusser, des sociologues marxistes (Pierre Naville, Christian Baudelot et Roger Establet) développent cette perspective ; mais si le premier mettait en avant la notion d'« appareils idéologiques d'État » – « appareils » divers, dont l'Église notamment, par lesquels la société capitaliste assurait à la fois sa reproduction et sa légitimation –, les seconds choisissent de donner une place centrale à l'institution scolaire, la mieux à même de produire une sélection légitime. En effet, dès lors que la société est divisée en classes, sa reproduction exige de reproduire les modalités de cette division, et, pour ce faire, l'école constitue l'agence de tri privilégiée dans les sociétés modernes. Car dès lors que les individus sont considérés comme égaux, alors même que les places restent profondément inégales (dans les ressources ou le prestige qui y sont associés), l'accès à ces places est censé se faire selon les mérites de chacun et la responsabilité cruciale de détecter ces mérites et d'ordonner les individus en conséquence est confiée à l'institution scolaire.
La reproduction est alors un processus à double face, comme le soulignait en son temps Durkheim : il faut à la fois intégrer les jeunes générations en leur inculquant des valeurs communes, et les diviser, en organisant l'aiguillage vers les places inégales qu'agence la division du travail. Dans des sociétés où la transmission des places n'est plus censée se faire par l'héritage, de pères en fils, la scolarisation et ce que Jean-Michel Berthelot appelle le « procès d'orientation » occupent une place centrale. On ne va plus hériter stricto sensu mais gagner une place, sur la base de qualités apparemment des plus personnelles. Chez tous ces auteurs, on souligne à la fois le caractère contraignant et objectif de cette distribution des individus dans les places inégales, qu'il s'agit de reproduire, et la nécessité d'un versant subjectif, c'est-à-dire d'une acceptation, par les individus eux-mêmes, du caractère légitime de cette distribution : la méritocratie est alors l'idéologie fondamentale des sociétés modernes.
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Écrit par
- Marie DURU-BELLAT : professeur des Universités, université de Bourgogne
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Pour citer cet article
Marie DURU-BELLAT, « REPRODUCTION SOCIALE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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