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RACCOURCI, peinture

Terme désignant un effet visuel qui tend à exagérer la perspective par une réduction de celle-ci. La théorie perspective a considérablement facilité la représentation du raccourci. En Italie, dès le xve siècle — en dépit des conseils de prudence d'un Alberi —, le scorcio était devenu l'un des thèmes fondamentaux de l'enseignement des ateliers.

Les effets de raccourci sont connus dès l'Antiquité : la céramique grecque, la peinture gréco-romaine, comme à Pompéi (par exemple, dans la décoration murale de la célèbre villa des Mystères). On utilise de nouveau ce mode de représentation, surtout à la fin du Moyen Âge, lorsqu'on accorde plus d'importance à la figuration spatiale ; les peintres organisent leurs compositions autour d'un point de fuite unique et obtiennent ainsi des effets parfois surprenants.

Le Christ mort, A. Mantegna - crédits : 	Mondadori Portfolio/ Getty Images

Le Christ mort, A. Mantegna

À la Renaissance, le développement du dessin d'observation confère au raccourci une valeur plus grande encore à mesure que progressent les études anatomiques (particulièrement celles de Léonard de Vinci et de Michel-Ange). Il devient alors le moyen plastique de relier de manière illusionniste l'espace réel où se tient le spectateur à celui du tableau, comme dans maints tableaux maniéristes (de Pontormo, par exemple), à la suite de la célèbre démonstration faite par Mantegna dans le Christ mort de 1480 (galerie Brera, Milan). On le retrouve dans ces visions di sotto in sù (peintures vues par-dessous) qui en multiplient les effets, particulièrement dans les œuvres de Corrège.

Les effets optiques — perspective accélérée ou ralentie, anamorphoses — et les scénographies réalisées par des architectes (Serlio, Scamozzi, Palladio, Borromini) sont les domaines où le raccourci a été utilisé de la façon la plus spectaculaire.

<it>Les Ambassadeurs</it>, H. Holbein le Jeune - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Les Ambassadeurs, H. Holbein le Jeune

Ainsi la vision « en raccourci » vise tantôt à rectifier l'image par rapport à l'œil du spectateur placé plus bas (cf. Le Jugement dernier de Michel-Ange), tantôt à obtenir au contraire un effet surprenant comme dans la célèbre toile de Holbein, Les Ambassadeurs (1533, National Gallery, Londres), où l'étrange « objet » du premier plan devient un crâne lorsque le spectateur se place à un point précis de la salle pour regarder le tableau. Ce jeu correspond à la fois à une exagération de la perspective, mais également à une série de méditations philosophiques sur la relativité de la vision comme l'a bien montré J. Baltrušaitis dans son étude Anamorphoses ou perspectives curieuses (Paris, 1955).

L'art des décorateurs des xviie et xviiie siècles utilisera très largement le thème plastique du raccourci qui deviendra un « morceau de virtuosité » des académies.

Cette science des raccourcis a été reprise différemment au xxe siècle par l'art cinétique ; le raccourci devient un élément essentiel des jeux optiques utilisant des mécanismes de translation depuis les effets op art d'un Vasarely jusqu'aux mouvements animés d'un Julio Le Parc, par exemple. On trouve de surprenants effets de raccourcis dans des montages mobiles où la photographie joue un rôle déterminant ainsi que dans des parcours jalonnés d'effets optiques : recherches menées par des artistes italiens comme Gianni Colombo ou Davide Boriani.

— Jean RUDEL

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, peintre et écrivain

Classification

Pour citer cet article

Jean RUDEL. RACCOURCI, peinture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Les Ambassadeurs</it>, H. Holbein le Jeune - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Les Ambassadeurs, H. Holbein le Jeune

Le Christ mort, A. Mantegna - crédits : 	Mondadori Portfolio/ Getty Images

Le Christ mort, A. Mantegna

Autres références

  • DI SOTTO, peinture

    • Écrit par Jean RUDEL
    • 554 mots
    • 1 média

    L'expression italienne di sotto in sù (de dessous vers le haut) désigne les figures vues en raccourci de dessous ; grâce à un effet de perspective accusé, le peintre donne l'illusion que ses personnages occupent une position élevée et, dans certains cas, il crée même l'impression...

  • MAULBERTSCH FRANZ ANTON (1724-1796)

    • Écrit par Georges BRUNEL
    • 482 mots
    • 1 média

    En dehors de l'Allemagne et des pays d'Europe centrale, Franz Anton Maulbertsch n'est généralement pas reconnu comme l'un des maîtres majeurs de la peinture européenne, qu'il est pourtant. C'est qu'il est fort peu représenté dans les collections et que, ses œuvres les plus significatives étant...

  • PENCZ GEORG (1500 env.-1550)

    • Écrit par Pierre VAISSE
    • 308 mots
    • 1 média

    Peintre et graveur allemand, Georg Pencz devait se trouver depuis plusieurs années dans la ville de Nuremberg (où il n'est probablement pas né) lorsqu'il en devint bourgeois. Il aurait collaboré en 1521 avec Dürer à un projet de décoration peinte dans l'hôtel de ville. Banni en janvier 1525...

  • ROCOCO

    • Écrit par Georges BRUNEL, François H. DOWLEY, Pierre-Paul LACAS
    • 21 059 mots
    • 14 médias
    ..., Musée municipal, Vicence). De singuliers jeux de perspective donnent à l'espace une qualité irréelle, avec ses vues di sotto et ses figures en raccourci (Sacrifice de Jephté, Palazzo Reale, Gènes). Coloriste subtil, Pittoni recherche les accords rares et joue volontiers de tons acidulés et d'ombres...

Voir aussi