PÉNALE PROCÉDURE
De nos jours, les images audiovisuelles des procès pénaux ne donnent de la procédure qu'une connaissance furtive, un aperçu des coulisses d'un rituel. Pourtant, depuis longtemps – la description de la cité en paix sur le bouclier d'Achille, du chant xviii de L'Iliade, en témoigne –, le récit de la scène judiciaire, de la manière dont un procès pénal se mène, suscite l'intérêt constant des hommes. La procédure pénale touche à l'intérêt général, aux libertés des individus, à leur honneur. Elle constitue le mode de production de la vérité judiciaire en matière pénale. Elle enserre la réaction sociale dans des règles précises, depuis la recherche et le constat de l'infraction jusqu'à l'exécution des peines et même leur effacement de la mémoire judiciaire. Elle détermine les modalités selon lesquelles vont être recueillies les preuves, et organisé le débat judiciaire, le jugement et éventuellement la condamnation. Loi de forme, la procédure pénale va guider la mise en œuvre de la loi pénale de fond. Celle-ci définit les conditions de la responsabilité pénale, les faits pénalement punissables et les peines encourues par les coupables.
La procédure pénale constitue une protection, une contrainte et l'expression de la recherche difficile d'un équilibre. C'est une protection, car, sans règles de procédure, l'existence même de la défense est en péril. C'est une contrainte, parce que la défense doit aussi se plier à ces règles. C'est la recherche difficile d'un équilibre entre les libertés individuelles et collectives d'une part, et les nécessités de la répression d'autre part. La procédure pénale est vivante, et elle évolue sans cesse, précisée par la jurisprudence ou modifiée par les législateurs successifs dans un sens libéral ou autoritaire. Les droits de la défense ont pour baromètre la procédure pénale.
L'histoire a fourni deux modèles principaux de procédure qui traditionnellement sont opposés l'un à l'autre. L'une est la procédure dite accusatoire, dont le modèle pur associe trois caractéristiques : la justice y est publique, orale et contradictoire. C'est-à-dire que tout y est débattu devant le juge qui écoute les parties avant de trancher. Le peuple, par des juges non professionnels, rend la justice. C'est un accusateur (d'où le nom d'accusatoire) qui déclenche les poursuites et qui doit apporter la preuve de son accusation. On lui oppose le modèle pur du procès inquisitoire, né avec la procédure du tribunal de l'Inquisition. La procédure y est secrète, écrite et non contradictoire. Menée par un juge professionnel qui est à la fois juge et procureur, la procédure y est centrée sur les interrogatoires et la recherche de l'aveu.
Schématiquement, on peut dire que l'accusatoire est préoccupé d'éviter l'arbitraire et que l'inquisitoire a principalement le souci de l'efficacité. Ces modèles ne se rencontrent plus aujourd'hui sous leur forme pure. Dans les modèles principalement accusatoires, la victime a été très tôt remplacée dans l'accusation par des accusateurs publics. Dans les modèles inquisitoires, les fonctions de juge et de procureur ont été institutionnellement séparées.
Depuis le xixe siècle, le droit français a choisi un modèle de procédure pénale mixte. La première phase du procès relève du modèle inquisitoire avec une phase d'enquête secrète, écrite et non contradictoire. La procédure d'instruction s'inspire au xixe siècle des mêmes principes. La seconde phase, celle du jugement, se rattache plutôt au modèle accusatoire avec des audiences publiques, des débats oraux et cet échange contradictoire entre les parties, qui culmine avec les réquisitoires et plaidoiries. Depuis lors, à la fin du xixe siècle et au cours du xxe siècle, des effets de convergence ont rapproché les deux phases du procès pénal en droit français. Mais le dosage entre accusatoire et inquisitoire n'exclut jamais les défauts de l'un et l'autre système. La justice américaine, par exemple, ne peut maintenir un modèle accusatoire que grâce à une pratique massive du « plaider coupable » qui peut recouvrir une « justice à deux vitesses », profondément inégalitaire en ce qui concerne l'administration de la preuve et sa discussion. Les dernières décennies ont amorcé le dépassement de cette opposition classique au profit d'un nouveau modèle, celui du procès équitable.
Le cadre de la procédure pénale
La procédure pénale a connu en un demi-siècle à peine une formidable mutation. Elle est placée au premier rang d'un phénomène de mondialisation qui atteint notamment le droit processuel. Ses sources, jusque-là nationales, sont massivement dominées par des textes internationaux. Ils dessinent un modèle universel du procès équitable commun aux nations civilisées et qui inspire bien sûr la procédure de la cour pénale internationale.
Les sources de la procédure pénale
En France, après la Seconde Guerre mondiale, la procédure pénale nécessitait une réforme profonde. Un nouveau code ne fut cependant adopté qu'en 1958 après deux commissions de réforme, présidées respectivement par Henri Donnedieu de Vabres en 1949 et par A. Besson en 1953.
Le Code de procédure pénale de 1958
Le souvenir de la barbarie nazie et des atteintes aux libertés qui l'avaient accompagnée imposaient de protéger les libertés, tandis que, à compter du milieu des années 1950, la crise de la décolonisation et bientôt la guerre d'Algérie nourrissaient le souci de sécurité. Le Code de procédure pénale, adopté en 1958 et encore en vigueur aujourd'hui, était à l'origine le fruit de ce compromis entre liberté et sécurité.
Les principales modifications qu'il a subies depuis lors ont répondu à diverses finalités. La guerre d'Algérie conduisit à l'adoption de législations d'exception. L'accroissement de certaines délinquances et notamment les atteintes aux biens et la délinquance routière ont nécessité l'instauration de procédures simplifiées. La recherche d'une limitation de la détention avant jugement a constitué un souci récurrent chez le législateur des années 1970 à 1990.
La dernière décennie du xxe siècle vit des réformes plus ambitieuses souvent contrecarrées par les jeux d'alternance politique. La commission Delmas-Marty proposa une refonte importante de la phase de mise en état du procès pénal que deux lois de 1993 suivirent et défirent partiellement. Depuis lors sont intervenues une loi d'orientation et de programmation de la sécurité publique en 1995, une loi commune aux différentes procédures (civile, pénale et administrative), une loi relative à l'enfance délinquante modifiant, après d'autres, l'ordonnance de 1945, une loi relative aux procédures particulières en matière de terrorisme et une autre instituant un nouveau mode alternatif de règlement des litiges, la composition pénale. Tous ces textes témoignent d'une intense activité législative en la matière.
Pourtant, la loi du 15 juin 2000 et sa correction partielle, la loi du 5 mars 2002, ont encore revisité l'ensemble de l'édifice. La première de ces lois a placé en ouverture du Code un article préliminaire qui en résume les principes directeurs. Le législateur a cependant procédé par petites touches plutôt que sous l'inspiration d'une grande visée théorique. Les 934 articles de la seule partie législative du Code de procédure pénale attestent de la complexité atteinte par la matière dans un pays comme la France.
Des sources internationales et constitutionnelles
Mais la loi et, à sa suite, le règlement ne sont plus et de loin la seule source de la procédure pénale. Les nouvelles sources sont à la fois internationales et constitutionnelles.
En France, le Conseil constitutionnel a construit par sa jurisprudence, en matière de procédure pénale, autour de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du Préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, un ensemble normatif qui s'impose au législateur comme aux juges.
À la mobilité toujours plus grande des individus et des délinquants en particulier, mais aussi à la montée d'une criminalité transnationale organisée, doivent répondre des instruments d'entraide répressive internationale. Les cadres en sont à géométrie variable, depuis l'espace défini par les conventions bilatérales ou internationales en passant par l'Union européenne en tout ou en partie (accords de Schengen) jusqu'à l'espace des États du Conseil de l'Europe. L'objet peut en être l'extradition, le terrorisme ou telle autre infraction, la construction d'une police européenne ou la protection des intérêts financiers de l'Union européenne.
Les sources internationales forment plus encore les instruments essentiels de protection des droits et libertés fondamentaux. Dans le sillage de la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et, en Europe, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (C.E.D.H.), demain la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, permettent aux juridictions chargées de les appliquer de dégager des standards du bien juger qui imposent au législateur comme au juge un modèle du procès équitable.
Le modèle du procès équitable
Affirmé par l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, comme par l'article 6 de la C.E.D.H., le droit à un procès équitable s'analyse en un triptyque de garanties essentielles dégagées par la Cour européenne. C'est au travers de ces garanties que se structurent aujourd'hui les cadres de la procédure pénale ; c'est autour d'elles que se nouent les enjeux de ses réformes, le tout, en Europe, sous l'influence de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Les garanties essentielles
Première de ces garanties, le droit à un juge ou droit d'accès à un tribunal est évidemment un droit fondamental, commun à toutes les matières. En matière pénale, il est reconnu de manière plus large, en amont du jugement, à certaines opérations de police et, en aval, à l'application des peines. Les mesures d'arrestation ou de détention doivent ainsi pouvoir être vérifiées par un juge ou un magistrat habilité, de même que les visites, perquisitions et saisies. Un tribunal doit pouvoir juger les recours contre de telles mesures d'arrestation ou de détention. La présomption d'innocence jusqu'au jugement de fond doit aussi être protégée par un juge. L'accusation doit être portée devant un juge qui, en cas de condamnation, fixera la peine prononcée. C'est un juge qui doit fixer les modes effectifs d'application de la peine.
La garantie d'une voie de recours et le droit d'accès à un juge de cassation ont ainsi amené le législateur français à ouvrir un recours contre les arrêts de cours d'assises et à modifier les règles de recevabilité du pourvoi en cassation contre les décisions pénales. Il est vrai que la Cour de Strasbourg a constamment affirmé que « la Convention a pour but de protéger des droits, non pas théoriques et illusoires, mais concrets et effectifs ».
Des garanties institutionnelles tendent à assurer la qualité de la justice rendue, son indépendance et son impartialité. Les garanties d'indépendance sont assurées pour l'ensemble des magistrats, par leurs conditions de recrutement, la protection statutaire et l'institution d'organes de garanties de l'indépendance, mais selon une intensité différente pour les magistrats du siège et ceux du parquet. Elles se traduisent au pénal, dans l'organisation de l'institution judiciaire, par le principe de séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement.
L'impartialité commande pour sa part que le même juge ne connaisse pas des mêmes faits pour les mêmes parties à des instances différentes. Cependant cette exigence d'impartialité fonctionnelle ne concerne pas le parquet, qui peut être représenté par le magistrat ayant précédemment assumé les fonctions d'instruction dans l'affaire en cause. Bien plus, la partialité personnelle de l'accusation ne semble pas, selon la jurisprudence, susceptible de porter atteinte à l'impartialité du tribunal. La subordination hiérarchique du parquet au ministre de la Justice jointe à l'appartenance des magistrats du parquet au même corps que les juges du siège, particularité française, font débat depuis plusieurs années.
Enfin, dans la procédure pénale française, la juridiction collégiale constituait le principe, sans pour autant avoir jamais eu de valeur constitutionnelle. Les exceptions à ce principe sont aujourd'hui nombreuses. La collégialité ne constitue plus nécessairement, aux yeux du législateur, la forme du « bon juge » pénal.
Les garanties procédurales
C'est ici que la distance peut être la plus grande entre les principes du procès équitable et les réalités concrètes de la procédure pénale. Le droit absolu au respect de la dignité humaine, la prohibition absolue de la torture et des traitements inhumains ou dégradants constituent des droits substantiels dans la procédure pénale.
La publicité, la célérité, qui ne se confond pas avec la précipitation, et l'équité, l'équilibre de la procédure, qui, au pénal, implique le respect des droits de la défense, constituent les standards internationaux de ces garanties. Mais pour indispensable qu'elle soit, la publicité supporte des exceptions légales nombreuses. La célérité est requise à diverses étapes de la procédure et son obligation s'impose de plus en plus aux diverses parties au procès pénal. Quant à l'équité, elle devrait contraindre à la motivation des décisions de justice, mais on est, dans les faits, souvent loin du compte. Elle emporte aussi l'égalité des armes dans l'exercice des voies de recours comme dans l'examen contradictoire des charges de l'accusation et le droit de se taire et de ne pas s'auto-incriminer.
Le droit d'être informé des raisons de son arrestation, de la nature et de la cause de l'accusation, le droit de préparer sa défense, de l'exercer soi-même ou avec l'assistance d'un avocat, de convoquer et d'interroger des témoins, le droit à l'assistance gratuite d'un interprète constituent dans la C.E.D.H. l'expression des droits de la défense en matière pénale.
Dernière garantie du procès équitable, le droit à l'exécution de la décision paraît peu concerner la procédure pénale. Et pourtant le caractère très général de la jurisprudence rendue par la Cour de Strasbourg sur le sujet pourrait bien à l'avenir intéresser les victimes. Le principe contraste en tout cas, en France, avec la difficulté rencontrée par la justice pour mettre à exécution toutes les peines prononcées.
Les questions de la charge et les moyens de la preuve sont au cœur du procès pénal. La présomption d'innocence impose de laisser la charge de la preuve à la partie poursuivante, mais ce principe peut souffrir des exceptions. À la liberté de l'accusation et de la victime dans la production de la preuve répond la liberté pour le juge d'admettre ou non cette preuve, selon son intime conviction. Pour autant, la liberté de la preuve pénale subit toutes les limites posées par la loi, au travers des règles d'administration de cette preuve. Dans ce domaine, la loyauté n'est pas une exigence absolue, notamment en droit français pour les preuves rapportées par les parties civiles. Mais, en revanche, la procédure organise avec précision les conditions légales dans lesquelles doit être recueillie la preuve (auditions, interrogatoires, expertises, perquisitions, interceptions de correspondances, etc.).
Entre les intérêts de la société, ses exigences de sécurité et les intérêts de la personne poursuivie, dont l'honneur et la liberté sont en cause, la procédure pénale a la charge de garantir une bonne justice, une justice fiable. Dans le cadre ainsi défini par les principes, aujourd'hui internationaux, d'un droit processuel, dont le champ est bien plus large que celui du seul procès pénal, même si celui-ci a ses exigences particulières, le dossier pénal va « aller en avant », traduction littérale du latin procedere.
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Écrit par
- Jean DANET : avocat honoraire, maître de conférences à l'université de Nantes
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