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POSITIVISME JURIDIQUE

On classe volontiers les juristes en deux grandes catégories : les jusnaturalistes et les positivistes. Tous entendent rendre compte du droit positif, c'est-à-dire du droit voulu et énoncé ou posé par des hommes. Mais les premiers admettent qu'il existe, à côté ou au-dessus de ce droit positif, un autre droit, le droit naturel. Il existe de nombreuses doctrines jusnaturalistes qui varient quant à l'origine ou à la source qu'ils attribuent au droit naturel, quant à ses destinataires, à la manière dont les hommes peuvent le connaître ou à sa force obligatoire. Elles ont toutes cependant deux traits communs : elles sont dualistes en ce qu'elles admettent l'existence de deux droits et elles entendent juger le droit positif à l'aune du droit naturel. Les positivistes au contraire sont monistes. Ils estiment ou bien qu'il n'y a pas d'autre droit que le droit positif ou bien que, puisque le droit naturel n'est pas connaissable, seul peut être étudié le droit positif. L'acceptation de l'une ou l'autre de ces doctrines, qui ont donné lieu depuis des siècles aux plus grands débats de la théorie du droit, implique l'adhésion à des thèses qui touchent aux questions les plus fondamentales de la philosophie de la connaissance et de la philosophie morale.

Cependant, il en est de cette classification comme de beaucoup d'autres : non seulement le classement lui-même est difficile et certains auteurs sont considérés tantôt comme positivistes, tantôt comme jusnaturalistes, mais le principe même de la classification est périodiquement remis en question et certains cherchent à surmonter ou à dépasser l'opposition.

En réalité, ces incertitudes proviennent en grande partie d'une rigueur insuffisante dans l'emploi des concepts et peuvent être en grande partie dissipées grâce à un travail de clarification effectué par Norberto Bobbio (1909-2004), lui-même animateur d'un courant positiviste important. Bobbio distingue trois sens ou trois usages de l'expression « positivisme juridique ». Elle désigne tantôt une certaine approche du droit, tantôt une certaine théorie du droit, tantôt enfin une certaine idéologie.

Une approche du droit

Dans le premier sens, le positivisme juridique est une certaine approche du droit selon laquelle le droit n'est pas lui-même une science, mais peut être l'objet d'une science qui se donne pour tâche de le connaître et de le décrire. Le positivisme juridique est alors une tentative pour construire une telle science. Certains positivistes soutiennent que cette science est spécifique parce que le droit n'est pas un objet empirique, d'autres qu'elle l'est aussi en raison de ses méthodes. D'autres encore cherchent à construire une science du droit entièrement empirique. Mais tous entendent au moins la construire selon un modèle dérivé des sciences empiriques.

En tant qu'approche ou en tant qu'épistémologie, le positivisme juridique entend fonder la science du droit sur le modèle des sciences empiriques. Cela implique d'abord et avant tout une distinction radicale entre le sujet et l'objet de la connaissance, c'est-à-dire ici entre la science du droit et le droit lui-même. Le droit est un ensemble de normes produites par des autorités compétentes et qui ordonnent, interdisent ou autorisent certains comportements. Les normes, étant des prescriptions, ne sont pas susceptibles d'être vraies ou fausses. La science du droit, elle, n'ordonne et n'interdit rien. Elle énonce seulement des « propositions de droit », qui décrivent les normes existantes et qui, elles, peuvent être vraies (si elles décrivent une norme qui existe réellement dans le droit positif) ou fausses. Il s'ensuit que cette science doit s'abstenir de formuler des jugements de valeur et doit se limiter à la description. C'est ce qu'indique le titre[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France

Classification

Pour citer cet article

Michel TROPER. POSITIVISME JURIDIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONSTITUTION

    • Écrit par Pierre BRUNET
    • 4 216 mots
    • 1 média
    Le modèle descriptif de constitution comme norme serait, idéalement parlant, le modèle proposé par lesjuristes positivistes, au premier rang desquels figure Hans Kelsen. Le terme « constitution » désigne chez lui les règles organisant la création des normes juridiques générales et notamment de...
  • DROIT - Économie du droit

    • Écrit par Bruno DEFFAINS
    • 3 751 mots
    • 2 médias
    ...normes (quel sens donner à la règle de droit ?). Cette question est au cœur des travaux de théorie du droit. Elle met en présence, d'un côté, les tenants d'une tradition positiviste héritée de Hans Kelsen selon laquelle le droit doit être conçu comme un ordre cohérent caractérisé par une barrière...
  • EXÉGÈSE ÉCOLE DE L'

    • Écrit par Jean-Louis HALPÉRIN
    • 989 mots

    Les commentateurs français du Code civil au cours du xixe siècle ont adopté une méthode dite exégétique par référence à l'exégèse biblique. L'habitude s'est prise depuis les travaux de Julien Bonnecase (1878-1950), pendant l'entre-deux-guerres, de les regrouper sous le nom d'école de l'Exégèse....

  • FRANCE (Histoire et institutions) - Le droit français

    • Écrit par Jean-Louis HALPÉRIN
    • 7 154 mots
    • 2 médias

    Qu'est ce que le droit français ? Si les enseignants spécialisés dans une branche particulière de ce droit n'éprouvent pas le besoin de répondre à une telle question, une présentation générale de cet « objet scientifique » nécessite quelques préalables méthodologiques. Les juristes positivistes considèrent...

Voir aussi