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PIÉTÉ

La piété individuelle est d'invention récente. Les religions sociales n'encouragent qu'une piété sociale, qui est (comme l'a rappelé Émile Benveniste) scrupule d'observance, zèle de service. Cette remarque vaut des religions archaïques, des religions du foyer, de la cité, de l'État, et même des religions universelles, qui restent des cultes d'assemblée, de communauté.

Toutes ces religions sont des croyances collectives, plus exactement des croyances qui intègrent un collectif, qui fédèrent des groupes ou qui étendent à l'humanité leur vœu de rassemblement, leur idéal d'unité. On comprend que les sociologues, spécialement Durkheim, aient vu dans la piété le respect que les individus portent à la grandeur du social, l'hommage qu'ils rendent à une société de qui ils tiennent tout. Même les historiens d'Israël admettent que la religion biblique, en dépit des accents personnels qu'on entend chez les Prophètes ou dans les Psaumes, est essentiellement une pratique commune, centrée sur le destin d'un peuple, non sur les destinées particulières : la piété y prend la forme d'une adhésion spontanée, d'une insertion dans la masse, d'un comportement qui obéit à des règles, à des prescriptions, à la Loi ; occasionnellement, le lyrisme éclate, mais il reste marginal.

Le piétisme à tonalité psychologique n'a surgi que comme réaction, quand les religions officielles ont donné des signes d'usure, quand leur formalisme a paru desséchant, quand les mystères d'Égypte ou d'Orient ont pénétré dans le monde grec, puis hellénistique (à noter cependant que les dévotions ont pu naître dans le paganisme méditerranéen à l'occasion du culte des héros ou à l'occasion des pèlerinages, des visites préférentielles à tel sanctuaire, des sollicitations de grâces ou de faveurs : mais la prière de demande empruntait le stéréotype des formulaires). Seules les religions de salut individuel ont vraiment inspiré un dialogue cordial et confiant, une relation d'intimité amoureuse, d'effusion, de complaisance entre le fidèle et son dieu, ce dieu qui devenait son sauveur.

Le christianisme a pris le relais. Il a élargi le cercle de la prière, qui s'adresse à Dieu par le Christ, au Christ lui-même (à l'humanité de Jésus unie à la divinité du Verbe), aux saints. La piété s'est développée en sentimentalisme, en vigilance sur soi (examen de conscience, comptabilité des actes), en méditation théologique, en contemplation de caractère désintéressé. Selon qu'elles sont axées sur les conduites, sur les vérités de foi, sur la transcendance, les spiritualités chrétiennes sont anthropocentriques, théocentriques ou franchement mystiques (nuit des sens et de la connaissance).

— Henry DUMÉRY

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Henry DUMÉRY. PIÉTÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ATHÉISME

    • Écrit par Edmond ORTIGUES
    • 3 062 mots
    ...des mots qu'employaient les Anciens. Mais, grosso modo, on pourrait traduire par « religion » et « irréligion » ce qu'ils appelaient «  piété » et « impiété ». Pour comprendre ce qu'étaient les délits d'impiété, il faut se rappeler que, pour toute l'Antiquité, y compris le judaïsme, la...
  • CHINOISE (CIVILISATION) - Symbolisme traditionnel et religions populaires

    • Écrit par Maxime KALTENMARK, Michel SOYMIÉ
    • 7 060 mots
    • 2 médias
    ...les comportements privés et publics. Une vertu plus que n'importe quelle autre fut toujours unanimement acceptée comme le fondement de la morale : la piété filiale. Celle-ci est fondée sur l'autorité du père en qui le fils doit voir un futur ancêtre, d'où toute une série de prescriptions positives...
  • DEVOTIO MODERNA

    • Écrit par Louis COGNET
    • 1 396 mots
    ...ordinairement à l'apostolat extérieur, et leur vie était principalement contemplative. Cependant, ils se préoccupaient beaucoup de propager les livres de piété et constituèrent d'excellents ateliers de copistes. Parmi les ouvrages qu'ils diffusèrent, beaucoup sont des anthologies de textes scripturaires...
  • FÁTIMA

    • Écrit par Charles BALADIER
    • 698 mots
    • 1 média

    Petite ville portugaise, située sur les plateaux d'Estrémadure (district de Santarém), Fátima est devenue un lieu de pèlerinage qui est (comme le site de Lourdes, avec lequel il rivalise en célébrité) une des expressions les plus massives et les plus populaires du développement (contesté...

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