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TRUCHE PIERRE (1929-2020)

L'image de Pierre Truche est spontanément associée au procès Barbie. L'y réduire constituerait non seulement une injustice mais surtout un contresens. Ce magistrat aimait à rappeler, en effet, que les procès extraordinaires doivent se traiter « à l'ordinaire », c'est-à-dire comme les autres. Il a abordé le crime contre l'humanité comme n'importe quel procès : voilà peut-être la raison de sa réussite. Pour lui, le pire des criminels, celui qui a refusé droits et respect à ses victimes, a néanmoins des droits à faire valoir, à commencer par le droit à la dignité. D'ailleurs tout procès n'a-t-il pas pour fonction in fine de rendre son humanité à tout criminel qui, du coup, quelle que soit l'horreur de son crime, cesse d'apparaître comme un monstre ? Un autre contresens consisterait à recenser les fonctions prestigieuses qu'il a occupées – la présidence du groupe de travail de l'ONU sur la création d'un Tribunal pénal international pour juger les crimes commis dans l'ex-Yougoslavie, sa participation à la commission « Justice pénale et droits de l'homme » présidée par Mireille Delmas-Marty, la présidence de la commission de réflexion sur la justice (1997), la présidence de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (1999).

En effet, Pierre Truche est avant tout un procureur, donc un homme d'audience. D'ailleurs il n'a jamais servi ailleurs qu'en juridiction. Né le 1er novembre 1929 à Lyon, il est entré dans la magistrature en 1955 et fut substitut successivement à Arras, Dijon et Lyon puis, après un passage de quelques années à l'École nationale de la magistrature, avocat général à Grenoble, procureur à Marseille, procureur général de la cour d'appel de Lyon, puis de celle de Paris et de la Cour de cassation avant d'être premier président de ladite Cour de 1996 à 1999.

L'audience a fait Pierre Truche et c'est vers elle que se porte l'essentiel de sa méditation sur la justice. On retrouve chez lui des accents de d'Aguesseau lorsque, dans la postface de son livre L'Anarchiste et son juge (1994), il énonce, sous forme de canons, sa conception de l'éthique du procureur à l'audience. Il ne s'intéresse pas à l'assassinat de président Sadi Carnot uniquement en historien mais aussi – surtout – en magistrat. Le petit l'intéresse plus que le grand, le procès plus que le crime, le criminel plus que son illustre victime. Au-delà de l'audience elle-même, c'est le face-à-face entre deux hommes – l'anarchiste Caserio et le juge d'instruction Benoist – qui l'intrigue. D'où le titre du livre, qui n'est pas sans rappeler celui du film Le Juge et l'assassin de son ami Bertrand Tavernier. Sans ce dialogue insolite, sans ce mystérieux échange entre des personnes que tout oppose mais qui sont réunies pour de longues auditions, la justice n'a plus de sens. Dans cette affaire comme dans tant d'autres, la culpabilité ne posait pas de difficulté. Restait l'homme. C'est pourquoi il faut se méfier des dossiers qui ont l'apparence de la simplicité. Il ne suffit pas d'établir techniquement le crime, en l'occurrence l'homicide et la préméditation, car le « bien de la justice » – expression qui revient sans arrêt sous la plume de Pierre Truche et qui rythme toute sa pensée – appelle une personnalisation du débat si l'on veut aboutir à une personnalisation de la peine, et le ministère public doit y contribuer. Ce procès lui fournit l'occasion de retracer l'évolution majeure de l'office du ministère public auquel le Code d'instruction criminelle de 1808 demandait de ne soutenir que « les moyens qui appuient l'accusation », alors que le Code de procédure[...]

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Écrit par

  • : magistrat, secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice

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Pour citer cet article

Antoine GARAPON. TRUCHE PIERRE (1929-2020) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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