Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PIERRE LOMBARD (1100 env.-1160)

Les « Sentences » et l'enseignement scolastique

Propres au Moyen Âge, les Sentences sont un genre littéraire résultant d'une lente évolution : compilation d'extraits des écrits d'un ou de plusieurs Pères ; mise en ordre de ces extraits selon les arguments et les sujets traités ; établissement d'un plan systématique ; insertion de sentences d'auteurs modernes, qui supplantent même les autorités patristiques ; organisation des sentences en groupe de questions, avec discussion du pour et du contre et solution. Ainsi les principaux magistri dégagent-ils de la forêt de ces sentences un ouvrage personnel : un livre des Sentences.

Le plus remarquable, le plus important pour l'histoire de la théologie est incontestablement celui de Pierre Lombard ; il est lui-même à l'origine d'une nouvelle évolution du genre. Après leur reconnaissance officielle par le IVe concile du Latran, les Sententiarum libri quatuor deviennent l'ouvrage de base de l'enseignement théologique, de même que le De grammatica de Priscien ou le Décret de Gratien (Robert de Sorbon, De conscientia, I, 19).

La «  lecture » des Sentences préparait la voie à l'explication de l'Écriture et à son interprétation théologique. Entre 1240 et 1242, sous l'impulsion, semble-t-il, d'Alexandre de Halès, apparaissent les premiers commentaires réglementaires des Sentences. Cette lecture devient une des étapes de l'explication du texte sacré (Sacra Pagina) : la première est la lecture de la Bible pendant un an (ou deux), cursorie sous la conduite du bachelier biblique ; la deuxième, qui dure deux ans (plus tard, un an), consiste dans l'initiation à l'ensemble des questions théologiques, des controverses et arguments par la lecture du manuel des Sentences, sous le bachelier sententiaire, qui doit étudier le livre complètement et consciencieusement avant d'accéder à la maîtrise ; devenu maître, celui-ci expliquera le sens de la Bible en y rattachant les problèmes de haute théologie ou de pure spéculation, les discussions récentes sur les divers problèmes. Les statuts qui réglementent ces usages sont – pour Paris, Bologne, Toulouse, Vienne, Cologne – de la seconde moitié du xive siècle.

Les Quatre Livres doivent être lus et commentés intégralement. Le cours du bachelier se fait le matin à la suite de celui du maître, entre neuf heures et midi. Le début de la lecture de chaque livre est entouré d'un éclat particulier. Des règlements universitaires fixent le détail de ces principia (collationes), auxquels tous les étudiants et bacheliers doivent assister. Les méthodes de lecture, empruntées à la faculté des arts, comportent trois éléments : divisio textus, enchaînement général des idées, subdivisions adoptées ; expositio textus, lecture glosée du texte qui s'ouvre sur des quaestiones, développées sous forme d'arguments pour et contre ; dubia circa litteram, réponses aux difficultés provenant de la lettre même du texte. À l'intérieur de ce cadre, large place est laissée à l'initiative individuelle tant sur le plan de l'exposition des idées que sur celui de l'intérêt à accorder à chaque question et de l'importance relative des trois éléments de la quaestio. Le bachelier a toujours le droit de s'écarter de l'opinion du maître, dont certaines propositions d'ailleurs ne sont pas communément reçues.

Le Commentaire des Sentences est une œuvre de débutant, mais qui demande à être prise très au sérieux. En premier lieu, elle est antérieure aux Quaestiones disputatae et aux Quaestiones quodlibetales, qui sont l'enseignement du maître. Mais le bachelier a au moins trente ans ; il est souvent plus âgé. Religieux, il a exercé des charges importantes dans son ordre ; il a déjà fait sept ou neuf ans d'études à la faculté de théologie ; il[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : éditeur en philosophie, histoire des religions, sciences humaines; ancien élève titulaire de l'École pratique des hautes études
  • : maître de recherche au C.N.R.S.

Classification

Pour citer cet article

Charles BALADIER et Jean RIBAILLIER. PIERRE LOMBARD (1100 env.-1160) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALEXANDRE DE HALÈS (1185 env.-1245)

    • Écrit par Charles BALADIER
    • 938 mots

    Originaire de Hayles (Halès en français), dans le comté de Gloucester, Alexandre de Halès, premier franciscain à enseigner à l'Université de Paris, y fut d'abord un des principaux maîtres séculiers. Il était bachelier sententiaire entre 1220 et 1226. Outre ses Questiones...

  • MOYEN ÂGE - La pensée médiévale

    • Écrit par Alain de LIBERA
    • 22 212 mots
    ...le genre littéraire de la quaestio donnent naissance à la littérature des Sententiae dont le prototype est fourni par les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard (1095 ? -1160) ; en philosophie, c'est-à-dire d'abord en logique, le genre littéraire des petites sommes (summulae) propose...
  • PRÉVOSTIN DE CRÉMONE (fin XIIe-déb. XIIIe s.)

    • Écrit par Jean RIBAILLIER
    • 1 555 mots

    L'un des premiers chanceliers à Paris de l'université naissante et l'une des figures maîtresses de la fin du xiie siècle, Prévostin de Crémone est représentatif d'une époque où la société chrétienne est internationale. Issu d'une obscure famille lombarde, il étudie la logique, le...

  • SCOLASTIQUE

    • Écrit par Jean JOLIVET
    • 2 966 mots
    ...été composé vers 510 par un néo-platonicien chrétien encore non identifié), enfin et surtout les quatre Livres des sentences (Libri sententiarum), où Pierre Lombard (le « Maître des sentences », ancien élève d'Abélard) avait rangé, vers 1150, l'ensemble des données et des problèmes de la ...

Voir aussi