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PHYSIOCRATES

L'influence en France

Les dissidents, Gournay et Turgot

Vincent de Gournay (1712-1759) ne s'est jamais mêlé d'écrire autre chose que ses rapports d'intendant du commerce ou de courtes notes de lecture sur des traductions d'économistes anglais. Mais cet homme d'affaires a exercé une grande influence sur son temps, par l'intermédiaire de son ami Turgot, qu'il initia à la spéculation économique. Auprès de ce « maître », qui avait beaucoup voyagé et pratiqué des auteurs comme Child, Tucker, ou Hume, Jacques Turgot (1727-1781), administrateur promis à de hautes destinées gouvernementales, fixa sa doctrine économique par le truchement d'un système théorique, librement adapté de celui des physiocrates et moins dogmatique.

L'œuvre écrite de Turgot fut pourtant peu abondante : en dehors d'ouvrages de circonstance, il ne donna guère que ses « Réflexions sur la formation et la distribution des richesses », traité fondamental quoique sommaire, écrit en 1766 et que Dupont publia dans les Éphémérides en 1769-1770. Esprit clair et remarquablement cultivé, il écrivit une critique de la philosophie de Berkeley et l'article « Étymologie » dans l'Encyclopédie méthodique. Turgot, à cette époque, se consacrait à ses tâches d'intendant du Limousin. Les « Réflexions » ne sont que la table des matières à peine développée de ce qui eût pu être le grand traité d'économie politique du temps. Si, parmi les thèses qui y sont développées brièvement se retrouvent les idées de Quesnay quant aux relations des diverses classes sociales dans la distribution et la production. Turgot ouvre des voies nouvelles à la recherche en formulant, à partir d'une approche marginaliste, les lois du rendement décroissant en agriculture et fournit une théorie du marché concurrentiel remarquable et précise. Le premier en France, il rompt avec une tradition hostile à l'épargne et indique comment la création du capital procède de l'épargne volontaire. Il expose comment la concurrence aboutit à l'abaissement des salaires au niveau du minimum vital et propose une théorie de la monnaie et de l'intérêt, reprise de son Essai sur les prêts d'argent, par laquelle il relie le taux de l'intérêt, prix payé pour l'emploi, de l'argent, à la théorie générale des prix, montrant comment le jeu de l'offre d'épargne et de la demande de capitaux fixe le niveau de l'intérêt sur un marché donné. Il esquisse une théorie du capital très neuve, par laquelle il pose que la richesse mobilière constitue un facteur de production autonome, et il étudie la valeur en termes de prix et non plus de quantités concrètes.

Surtout, Turgot, le « psychologue de la physiocratie », réintroduit l'histoire dans l'ordre économique ; d'une part, il soutient que le principe de l'ordre économique est « la faculté exclusive qu'a chaque individu de connaître ses intérêts mieux que tout au tre » ; de l'autre, se refusant à considérer la propriété comme un phénomène naturel et premier, il y voit le produit d'une évolution historique. Il est hostile au despotisme légal réclamé par la « secte » et, de plus, il affirme la nécessité de l'échange et de la productivité de l'artisanat ou du commerce ; dans Éloge de Gournay, il s'accorde avec son maître pour affirmer que l'ouvrier qui fabrique une étoffe ajoute une richesse réelle à la masse des richesses existantes. Sa conception des valeurs économiques est moins étroite que celle des physiocrates orthodoxes et il se refuse à tenir les marchands ou les artisans pour des classes « stériles ».

Appelé au contrôle général des Finances en 1774, Turgot allait pouvoir tenter d'appliquer ses idées dans le cadre d'une politique économique générale. Avec lui, la[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Clermont-Ferrand

Classification

Pour citer cet article

Abel POITRINEAU. PHYSIOCRATES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CANTILLON RICHARD (1680 env.-env. 1734)

    • Écrit par Bernard DUCROS
    • 696 mots

    Banquier parisien, né d'une famille irlandaise, elle-même d'origine espagnole, selon son biographe, l'économiste Stanley Jevons, Cantillon rédigea un Essai sur la nature du commerce en général, qui ne fut publié qu'en 1755, sans nom d'auteur, après avoir circulé en manuscrit...

  • CLASSIFICATION, sociologie

    • Écrit par Michel LALLEMENT
    • 1 000 mots

    Une classification est une représentation du monde ou d’une partie du monde. Elle est basée sur un principe de division et, le cas échéant, sur un principe de hiérarchie. Dans la préface des Mots et les Choses (1966), Michel Foucault évoque « une certaine encyclopédie chinoise » dans laquelle...

  • COLONIALISME & ANTICOLONIALISME

    • Écrit par Jean BRUHAT
    • 6 503 mots
    • 2 médias
    ...suppression progressive. Il condamne l'exclusif, le monopole et le système des grandes compagnies privilégiées et exalte la liberté, « âme du commerce ». Il rejoint ainsi l'anticolonialisme des libéraux qui apparaît avec les physiocrates. Dès 1755, Gournay propose d'ouvrir à tous le trafic des Indes...
  • DESPOTISME ÉCLAIRÉ

    • Écrit par Jean-Jacques CHEVALLIER
    • 4 482 mots
    • 2 médias
    Alors que dans le domaine économique les physiocrates tenaient farouchement pour la liberté, pour le laisser-faire, ils rejetaient expressément la liberté politique. L'autorité souveraine devait (selon le Dr Quesnay, chef de la secte) être unique, supérieure à tous les individus, à toutes « les entreprises...
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Voir aussi